la tristesse je l’ai mise dans un sac
au fond du congélateur
comme ça elle est oubliée
mais pas trop
quand je fouille pour un morceau
de viande des framboises
c’est toujours ce sac-là
qui vient à la main
son contenu rendu mystérieux par le froid
dans le manuel de congélation
rien n’indique combien de temps
on peut la conserver de cette façon
nous venons de parler d’elle
parce qu’elle est morte
nous l’avons mise en boîte
la boîte nous allons la brûler
maintenant le silence tombe
comme une cruche sur les dalles
chaque fragment garde
un souvenir de fraîcheur
dans le miroir nous voyons la fenêtre
la mer un arbre la terre qui penche
retenez ça
une belle tristesse
le sable ruisselle entre les racines
les feuilles oscillent
avec le chant du merle
des mots reviendront
je vous apporterai de l’eau
le passé qui dure
c’est le présent
par extension un article de foi
comme le nez rouge d’un clown
une paire d’oreilles en plastique
sincérité dans une tasse de thé
l’avenir tiède puis froid qu’on
remue avec une ferveur dévorante
dans les mains de la boue en guise
de lucidité dans la bouche
une graine de silence
l’après-midi danse sur le parquet endormi
on n’a pas ouvert les volets la musique entre
silencieusement par les interstices
quelques notes jaunes stridentes
quadrillent l’espace encadrent l’infini
tout le monde est là tout le monde
danse une chorégraphie exquise langoureuse
on dirait qu’ils glissent sur
des patins de feutre pour éviter de
brusquer la poussière tout le monde
est là tout le monde danse avec moi qui
suis resté à la porte les yeux rivés au sol
à regarder mes trébuchements
please
s’ouvre une parenthèse de silence
la salle se tortille gênée par cette
politesse étrange étrangère effrontée
savoir ce qu’on fait ne compte pas
l’important c’est d’assumer oser être
à l’aise face à l’ignorance confrontée
mais les assiettes se vident et les bouteilles
le monde commence à toussoter
par la fenêtre on voit passer une vie
thank you