il suffit de suivre le pointillé, c’est un assemblage de brumes, l’image d’une demoiselle coupant des têtes à l’aide de ciseaux se dégage lentement comme d’un bain nocturne, une lumière rouge veille sur cette cérémonie, tu jouis à regarder seulement ces photographies du monde ancien, on est pourtant pas loin d’y retourner, les os craquent comme les meubles d’un vieil appartement que ton cerveau a été, les pages lues s’approchent dans ce couloir lumineux, avec la chaleur grise et bleue des anciens royaumes, elles papotent comme deux femmes en tailleur derrière les vitres immenses, depuis sa piscine, celui qui les suit du regard se retourne dans le sommeil d’un autre, brusquement, il fait un peu froid, qui n’a pas éprouvé que son sommeil abrite le sentiment délicieux d’une impossibilité retrouvée ? c’est toujours elle qui mène le jeu, secrètement, une façon de prononcer un mot peut ouvrir des banquises de songes, un doigt posé soudain sur un interrupteur décide de ta naissance, tu entends une goutte tomber régulièrement au fond d’un lavabo et puis la nuit est là, le temps existe jusque dans les mots, la mort beurre des tartines sur une table longue comme une avenue
comme des relais dans la nuit, de ces sortes d’auberges où l’on changeait de chevaux, avalait une soupe, parlait avec des inconnus, dormait dans la paille au milieu des bêtes avant de repartir avant même que l’aube relance son sempiternel film où les acteurs sont ces somnambules qui parlent et agissent sans trêve, les yeux ouverts sur l’illusion, comme des relais dans la nuit, tes retours aux pages blanches du carnet, tu regardes le ciel et les étoiles sans comprendre comme tu songes à toi-même, non que tu serais ceci ou cela, non que tu serais le tout, mais qu’étant ni ceci ni cela, tu n’es pas non plus étranger, la petite histoire sans noblesse qui parcourt ton cerveau est-elle plus ou moins vraie que la vague sensation qui la double souvent et qui te dit : tu rêves ? tu rêves et cette fiction est un fond comme un autre, tu saisis que tu rêves et ta fragile fiction est un petit poisson de néant nageant dans le vide de l’abîme, tu reviens aux étoiles et un vertige t’emporte, la nuit est chaude ou froide, un vent y bat follement ou c’est une neige épaisse comme le sommeil, la campagne est un parfum qui bruisse, l’étable un souvenir définitivement raturé dont restent seules des bribes, l’animal qui respire, là, tout près, qui rumine et s’enfuit sans bouger dans la nuit, est-ce toi ou une étoile, ou le souvenir d’un cerveau qui explose à l’instant, sans témoin ni papiers ?
toucher les bêtes, les dieux, les hommes, des montagnes partout, avec rien pour éclairer les mots, nager dans le duvet mort du jour, traîner sa fatigue d’un bord à l’autre d’un funèbre poème en plastique, toucher les bêtes, les dieux, les hommes, ça devient miraculeux, aucun polaroïd pour ça, des lunettes noires pour tout, des voitures silencieuses, des piles de lettres sur tes meubles comme s’il en neigeait, dans la maison tu regardes les marées invisibles qui submergent les pièces vides, on peut regarder le ciel aussi, et se taire, la nuit commence tes phrases, avec sa douceur, ses courbes, l’heure du laitier, l’état dans lequel tu nages, le silence épais du fleuve, la trotteuse hagarde des réveils qui s’échappe toujours, tout te retient sur le bord, tu restes à regarder les paysages comme un endormi, des reins, des parcelles de sable et des orages gris sombres au-dessus de la clarté des mots qui disent si simplement les choses, vous dire après d’où revient l’encre ? la joie est un accident mortel, on est tapi dans les phrases comme dans des buissons obscurs : on n’en sort pas, on regarde le ciel en oubliant son propre corps, plus tard on parlera, plus tard, en éclaboussant tout d’un rire idiot