Revue de poésie contemporaine

Mon amour est d’eau claire et mon eau d’amour fou (extraits)

M

Je me sou­viens du jour où, il y a des années, j’é­tais allée avec mes parents chez mes voi­sins, qui orga­ni­saient un bar­be­cue. La soi­rée s’é­tait pro­lon­gée et d’autres amis étaient arri­vés, assez ivres, appor­tant un sac rem­pli de bou­teilles. Mes parents avaient aus­si remer­cié pour le dîner et nous étions ren­trés chez nous. J’é­tais allée dans ma chambre mais je ne m’é­tais pas cou­chée. Je m’é­tais glis­sée par la fenêtre et étais retour­née chez nos voisins.

Ils étaient avec leurs amis sur la ter­rasse, autour de la table éclai­rée par une grosse lampe sus­pen­due à la ton­nelle, riant et se ser­vant à boire. Je m’é­tais avan­cée, mais ils ne m’a­vaient pas vue. J’a­vais contour­né la ter­rasse et m’é­tais enfon­cée dans le jardin.

La soi­rée d’au­tomne était douce, tran­quille. J’en­le­vai mes san­dales et mar­chai dans l’herbe. Le vent pas­sait len­te­ment dans les branches. Je sui­vis un sen­tier de dalles et arri­vai devant la piscine.

Je pou­vais la voir depuis ma chambre mais elle me parut plus grande, plus longue. L’eau miroi­tait silen­cieu­se­ment. Der­rière moi mon­taient et des­cen­daient les rires, par vagues. Je ten­dis un pied et l’en­fon­çai dans l’eau. Elle était tiède. Les feuilles d’un euca­lyp­tus pal­pi­taient près de moi. Leur par­fum me par­ve­nait, aus­si léger qu’un souffle. Les lumières de la mai­son venaient mou­rir sur les dalles et seul res­tait le ciel, sa voûte noire et profonde.

J’en­le­vai ma robe. La blan­cheur sou­daine de mon corps, les deux dômes légers de mes seins affleu­rant du sou­tien-gorge, mon ventre, jaillirent et me sur­prirent. Je me pla­çai devant un petit esca­lier qui des­cen­dait dans la pis­cine. Je mis un pied sur la pre­mière marche. L’eau, une fois fran­chie la petite pel­li­cule chauf­fée par le soleil, était froide. Je posai un deuxième pied. L’eu­ca­lyp­tus tin­tait dou­ce­ment et le bras, immense, de la nuit se refer­ma sur moi.

Je des­cen­dis sur la deuxième marche et un fris­son par­cou­rut mes épaules. L’eau noire, dif­fi­cile immense, se balan­çait comme une mer.

Mes pieds se gla­çaient. La brise ser­pen­tait sur mon dos, ma poi­trine, mes jambes.

J’ar­ri­vai sur la troi­sième marche. Mon cœur se révul­sa. J’en­ten­dis un bruit et me jetai dans la piscine.

Mon corps fen­dit l’eau qui se sou­le­va de chaque côté. Je la sen­tis se divi­ser, s’ou­vrir, cou­rir le long de ma peau. Je fus éten­due, un ins­tant en équi­libre et en mou­ve­ment. Devant moi tan­guait le bout de la pis­cine. Le ciel res­plen­dis­sait. J’ou­vrai les bras et l’embrassai, avec l’eau et les arbres.

Je tou­chai le bord et le froid me prit à la tête, puis au fond de ventre. Je nageai encore, jus­qu’à l’es­ca­lier, quatre, cinq, six brasses, et de mon corps qui se recro­que­villait, mon­ta du miel.

Je suis vieille à pré­sent j’ai quit­té ce pays et ne me baigne plus. Mais quand je m’al­longe ou me lève, quand je rêve, la pis­cine froide, la pis­cine d’au­tomne, brille dans la nuit claire.monamourint4

 

Je m’étais réveillée sous la pous­sée d’un rêve étrange. J’étais assise sur le sable, je pas­sais l’eau entre mes doigts. Le sol s’ouvrait sous mes cuisses et de part et d’autre s’élevaient deux mon­tagnes. Elles se pen­chaient sur moi et j’apercevais leurs me fixant ardem­ment. Je vou­lais par­tir mais elles me pres­saient tou­jours davan­tage de leurs flancs géants, cher­chant à me rejoindre, à se fondre dans mon ventre. Je levais les yeux une der­nière fois. Leurs corps emplis­saient le ciel. C’étaient deux conti­nents ver­sant le monde en moi. J’ouvrais les bras pour me lais­ser séduire.

Je suis sor­tie du lit, dans l’aube silen­cieuse. J’ai enfi­lé un maillot de bain sous ma robe et j’ai ouvert la porte. Le jar­din embau­mait. Je vou­lais mar­cher vers la mer et oublier mon rêve. J’ai appe­lé mes deux voisines.
Elles m’ont prise par la main et nous avons des­cen­du la col­line en cou­rant. Aus­si loin que je regar­dais le ciel cou­rait sur la terre et l’embrassait. Au creux des arbres scin­tillait un tri­angle de mer.

Nous nous sommes arrê­tées sur la plage. L’eau venait bai­gner nos pieds. Nous avons lais­sé tom­ber nos robes. Les fleurs autour de nous for­maient un ber­ceau. Je les cueillais du bout des doigts les jambes dans l’eau claire. Elles s’ouvraient entre mes mains. Mes amies posèrent leurs têtes contre le sable tiède et fer­mèrent len­te­ment leurs yeux.
J’aperçus d’autres fleurs, dans les creux des rochers. Je me levai et m’approchai. Elles for­maient sur les pierres un ruban pal­pi­tant. J’appuyai mon corps sur la pierre et tour­nai les yeux vers la mer.

Un tau­reau blanc s’avançait dans les flots. La lumière ruis­se­lait sur lui, l’écume écla­bous­sait son dos. Il balan­çait sa belle tête, ses cornes for­mant un crois­sant de lune. Il venait vers moi.
Ses muscles fen­daient l’eau calme. Son front était orné d’un disque d’argent. Les fleurs ondu­laient sous mes doigts, et mon sang dans mon corps, comme un fleuve. Il s’arrêta à mes pieds.
Ses naseaux expi­raient l’air dans un sif­fle­ment, ses poils ruis­se­laient sur mes jambes. Dans mon dos se dres­sait la paroi du rocher. Le tau­reau leva vers moi ses yeux. Je vis la mer, je vis le ciel, le soleil et la file de mes jours. Dans sa gueule il tenait, intact et écla­tant, un cro­cus blanc.

Je pas­sai mes bras autour de son cou. Ma poi­trine s’emplit de la cha­leur de son pelage et je grim­pai sur son dos. Le vent frap­pait nos corps. Je me dres­sai face au soleil qui s’était levé sur la mer. Le tau­reau se tour­na vers le large et j’entrai avec lui dans l’eau.

 

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Auteur(s) / Artiste(s)

Pauline Ségalat

Pauline vient de retrouver dans les tiroirs renfermant son enfance et adolescence des milliers de pages couvertes d’histoires, de poèmes, de récits. Les jours d’étude, les jours de voyage, les jours d’amour ont toujours été pour elle accompagnés d’un cahier et d’un stylo… et la poésie s’est imposée comme le plus simple, le plus évident moyen de DIRE.
Ses études –lettres classiques et réalisation de films documentaires- ont confirmé son goût pour les mots, et le pouvoir qu’elle avait sur eux et par eux.
Aujourd’hui, les études sont finies et la vraie vie commence ! rencontre des poètes, lectures, travail, recherche et écriture, amour, et projets au sein du Collectif International d’Artistes Solidaires (http://cias33.wix.com/cias-33), avec Pierre Audemard et Jonathan Courteix.
Mon amour est d’eau claire et mon eau d’amour fou, publié avec le CIAS est son premier recueil.

Carlotta Constanzi

Carlotta est née en Italie, mais contrairement à ce que l’on peut penser de son pays, ce jour-là il pleuvait beaucoup. Elle ne mange pas de pizza ni ne joue du mandolino en chantant « Oh sole mio »; elle s'amuse plutôt à illustrer des petits contes qu'elle invente, créer des spectacles et danser.
C'est en 2009 qu'elle quitte son pays d'origine pour se poser sur les rives de la Charente et fréquenter les Beaux Arts d' Angoulême dont elle sort en 2011. Pendant ce temps-là, elle illustre Lena la balena et Mondo fantastico publiés par les maisons d'édition italiennes Cartacrespa Edizioni et Artebambini, et elle danse.
Apres les études, elle continue à dessiner en participant à différents fanzines entre l’Italie et la France (Lok, Parade, Ducrak10 et Monstermaloke) et elle participe à plusieurs expositions en Italie.
Elle est actuellement professeur de danse, elle s'intéresse au tatouage et à l'art thérapie, mais elle travaille toujours à ses projets de dessin qui vont du livre jeune public aux récits érotiques. Elle espère trouver un jour le moyen de concilier toutes ses passions dans un seul grand travail ou de réussir dans toutes de manière grandiose!
Vous pouvez voir son travail sur son blog http://carlottacostanzi.blogspot.com/

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