Revue de poésie contemporaine

La conversation ininterrompue

L

«  C’est exac­te­ment ainsi
qu’être une simple goutte d’eau
est la plus mer­veilleuse aventure
qui se puisse offrir
à un simple être humain…»

Paul Badin

La joie est sor­tie des étoiles, elle coule dans les yeux des voyants
qui osent vivre les mer­veilles et les peines du présent.

 

(Gérard HOUVER, Lor­raine mosel­lane, Cou­leur et Poé­sie, éd. Pier­ron, 1997)

ATTENDRE

Attendre
trop souvent
ce n’est pas creuser
un nou­vel espace
habitable
voire désert
c’est s’étouffer
à petit feu
néant cotonneux
bouches d’air fermées
inter­stices colmatés

De fait l’on attend
de plus en plus souvent
de plus en plus partout
et ainsi-dieusement
nous ronge
la ten­ta­tion de la tombe
du silence désolé
de la pous­sière sidérale
l’abandon généralisé
en sus.

Attendre, oui
mais dans la présence
apprendre à s’habiter
se don­ner du temps pour ça

ÉTIAGES ENTREVUS

Qui se fie au chant profond
noue ses tripes aux fastes racines
mais sou­ventes fois l’étiquette
berne le contenu

Vieilles graisses à macu­ler les jours
bles­sures d’ego mal cicatrisées
et la tête engorgée
bou­le­vard péri­phé­rique saturé

N’aspire pas, l’hypocrite
à ce qui ne vient pas
ou bien tra­vaille à corps
pour que ça advienne

Sombres visages fermés
ventres cer­clés de haine
quels mal­heurs couvez-vous
aux caves de la Terre ?

Rude sur­vie
sous le plomb des soucis
mais l’oiseau, le soleil
la main d’ailleurs tendue …

Ouvre à la cha­leur ces gens
qui encore ignorent
quel feu déjà brûle en eux
réchauffes‑y tes craintes.

JUSTE UNE EMPREINTE

Laisse res­pi­rer le temps des pierres qu’émeuvent si peu les sou­bre­sauts des chairs.
Une ligne de cyprès étonne l’ordonnance des crêtes.

Au loin, ne stagne pas la pointe des hauts désirs.
L’ample cou­lée cal­caire et lait nour­rit l’ivre rêve­rie des pas­sa­gers du vent.

À la dif­fé­rence du soir, le sens ne se couche guère.
Encore faut-il que le por­teur de lampes, agile de crête en crête, néan­moins fati­gué, n’abandonne pas, au risque des ténèbres, la confré­rie des stèles qui bordent le chemin.

Ils ne redoutent pas l’espoir, ceux qui entaillent les brèches.
Fai­blesses balayées, l’être, en sa plé­ni­tude, n’a plus d’autre inquié­tude que sa félicité.

La pesée de midi sur le fri­se­lis des jeunes feuilles.
Une caresse dia­man­tée, une pro­messe d’équilibre sur l’immanence du pré.

Sou­vent le cou­chant s’éternise, frère enne­mi du crépuscule.
La soie vive des lumières irise plus loin que les contes de l’enfance.

Tu aime­rais avan­cer ? Marche ! Et, pause après pause, mesure tes horizons.
Sans quoi tu pié­tines, autre mot pour régresser.

Tant de mal­heurs qui nous émeuvent, nous ébranlent…
Mais on n’habite jamais vrai­ment le corps souf­frant de l’autre, ses chairs lacé­rées ne seront jamais les nôtres…
Cherche d’abord ce que tu peux par­ta­ger avec elles.

NE CHERCHONS PAS PLUS LOIN

Pour Claude Papin

Tu n’es qu’une goutte d’eau
par­mi des galaxies
mais tu désires être
une goutte d’eau
la plus brillante possible
compte tenu de tes limites
et de tes altitudes
C’est exac­te­ment ainsi
qu’être une simple goutte d’eau
est la plus mer­veilleuse aventure
qui se puisse offrir
à un simple être humain.

Un vio­lo­niste du rang
qui apprit le vio­lon à ma fille
me dit un jour :
à chaque concert
calé au der­nier rang
je m’attache à jouer
comme si j’étais le soliste
je m’oblige à moi-même
il avait tout compris
Avance droit
autant que tu le peux
furieusement.

EN ÉCOUTANT LE VIOLON DE SOUBRAMANIAM

L’arbre ne s’épanouit que dans la liber­té du ciel mais qu’en est-il de l’homme ?

L’arme qui donne la supré­ma­tie ce n’est ni le fer, ni la poudre, ni l’atome. Ceux-ci ne donnent que des larmes.
L’arme qui donne la supré­ma­tie du cœur, le don.

L’âme se lâche sur les ailes de la mésange qui enlace le jardin.
L’âme se lave aux larges eaux d’azur puis jaillit de toutes ses laves.
En l’âtre éter­nel qui entre­tient le feu des âges, l’âme s’adonne à l’art, l’axe de vie infinie.

Lasse, la len­teur de l’âne sur l’âpre sen­tier des cimes.
Mais les affres n’affectent guère le tenace animal.
La ladre­rie n’est jamais de mise au sein des fron­dai­sons qui guident son périple.

Lac de lumi­neuses puri­fi­ca­tions, ton infi­ni Merci.

MONTAGNE SAINTE VICTOIRE

En pen­sée avec toi, sur un che­min de lumière.
Paul CÉZANNE, toute sa vie, fidèle, opi­niâtre, joyeux, s’en appro­cha, s’en impré­gna si bien qu’il irra­die, à son tour, ceux qui l’approchent. Il te salue.
Maître Mis­tral s’en donne à cœur joie ; il tour­billonne, il a encore beau­coup à dire. Peut-être captes-tu dif­fi­ci­le­ment, depuis ta forêt des Vosges, ses musiques éche­ve­lées (encore que…) mais, au moins, pou­vons-nous par­ta­ger les tour­billons odo­ri­fé­rants dont il nous enve­loppe, ô, grand frère.

Je regarde sou­vent ton vitrail, grand frère, et gra­vis tes toiles sans relâche… Une vie d’apport de lumière dans les alvéoles de l’âme du plus grand nombre sur fond d’azur incommensurable.
Une église, une mos­quée, un temple, un autel ? Non, un simple cœur ouvert sur l’invisible.

AU REVOIR

à † Gérard Houver

Et ton corps, désor­mais, d’albâtre et de Mystère,
de ses dons sans fron­tière et d’un trop long Calvaire
repose
sous la voûte puis­sante de ta mai­son de larmes
de chants divins, d’allégresse et partage.

Ton âme ouvre en nos cœurs les hautes voies du Pardon
et, nous pous­sant plus loin que le frêle horizon
s’exhale…
Qu’y a‑t-il, Là-haut, qui puisse te surprendre,
qui nous aimante, nous ques­tionne ou nous terrifie ?

Puis­sions-nous te rejoindre en cette ultime question,
vivre cette ferme bon­té que tu nous prodiguais !
Écoute :
aujourd’hui, vois nos mains qui se joignent et s’étonnent
tu nous manques, dis, Gérard, et montres le chemin.

Les forêts pour­sui­vront leurs cycles de couleurs,
des cris de tor­tu­rés déchi­re­ront d’autres nuits
mais réjouis-toi,
des sou­rires offri­ront leur doux halo d’Amour,
ton offrande joyeuse voit croître en nous ses fruits.

25 juin 2014

(Texte publié dans Aspects riants (édi­tions de l’Atlantique, 2009) et qui éclaire ce qui précède.)

Le dit de l’ami

à Gérard HOUVER

l’a­mi sent bon comme une étoile qui n’en fini­ra plus de nous rafraî­chir l’âme
l’a­mi comme vin de noces, tapis volant, renais­sance à soi-même
l’a­mi par­ti, la marée basse balise des plages neuves et regards éclaircis
en l’a­mi je m’ac­cepte et nous nous pro­lon­geons, de Mon­taigne à La Boétie
l’a­mi attise la comète comme l’ai­mant la bon­té : la nuit s’en trouve illuminée
l’a­mi tel une jarre, pétri d’hu­mi­li­té, empli d’humanité
l’a­mi, per­ma­nence des braises, du corail des pru­nelles aux érup­tions du cœur
par l’a­mi je gran­dis, parce que c’é­tait lui et que nous sommes nous
l’a­mi fleure la prai­rie de l’aube jus­qu’aux ruis­seaux, le ciel même nous l’envie
l’a­mi, fil d’ange, lien de soleil dan­sant sur front de brumes persistantes
l’a­mi, en son âge plus sage, offre deux mains pro­digues par-delà leur usure
de l’a­mi s’ir­ra­dient des gestes beaux à vivre : nos heures soient merveilles !

© Pho­to­gra­phie : José Wattebled

Auteur(s) / Artiste(s)

Paul Badin

Chez les éditeurs

Ricercar, éd. L'Amourier, 2000, 1° et 4° de couverture : Daniel Biga, 132 p, 19 €
Loire, éd. Tarabuste, 2005, rééd. 2009, peinture de couverture : Martin Miguel, 92 p, 12 €
Chantier mobile/Bewegliche Baustelle, Verlag Im Wald, 2006, trad. Rüdiger Fischer, gravures : G. Houver, 72 p, 10 €
Jardin secret, L’Aile éd., 2007, 30 gravures couleurs et noir et blanc : Gérard Houver, 80 p, 25 €
Fragments des Busclats (Rencontres avec René Char), éd. Poiêtês, 2008, préface : René Welter, 94 p, 17 €
Aspects riants, éd. de l’Atlantique, 2009, encre : Silvaine Arabo, 102 p, 19 €
Khaos Visions, Écrits du Nord, n° 17-18, éd. Henry, 2010, 12 €
Loire, Lumière, éd. de L’Atlantique, 2011, gouache : Martin Miguel, 80 p, 18 € et 35 €
Battements, éd. La Porte, 2012, 16 p, 6 €
Post it, éd Rougier V, coll. Ficelle, gravures de Consuelo de Mont Marin, 2012, 40 p, 9 € et 60 €

Quatorze textes Poésie des lieux aux éditions Encres Vives : Petites impressions de Galice (Espagne); Gouttes d’Afrique (Burkina Faso) ; La montée au coteau (Anjou) ; Pins dévers (littoral vendéen) ; Sur les routes du Rajasthan (Inde) ; L’Angle et le Zénith (chapelle à Beaumont-en-Vaucluse) ; Au gré des scilles (Algérie) ; …de sel et de pain (Russie) ; Patmos (Grèce) ; Glanes ibériques (Espagne); La flânerie aux Alyscamps (Arles), Le komboloï (Grèce), Entre Syr et Amou Darya (Ouzbékistan), Au pied de la montagne (Irlande)…
Numéro spécial : Paul Badin et la poésie des lieux (témoignages de lecteurs), Encres Vives.
Nombreux textes en revues.

Né en 1943 en Anjou où il réside. Ex-professeur de lettres, chargé de mission Poésie au Rectorat de Nantes ; ex-président-fondateur du Chant des mots (saison poétique et littéraire, Angers) ex-responsable de publication de N4728, Revue de poésie.

Anime actuellement un atelier d’écriture poétique dans sa commune.

1970-74, découverte de la poésie de René Char et premiers poèmes. 1978-88 : rencontres aux Busclats, L'Isle sur Sorgue (cf. Fragments des Busclats, Poiêtês).

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