il existe des forêts
qui résistent aux plaines
s’associent au vent pour contrer le ciel
des forêts que même l’eau des ruisseaux ne peut pénétrer
qui délimitent le territoire des hommes
encerclent leur civilisation
et aussi leurs pensées, toutes celles qu’ils pourraient avoir
le noir de ces forêts est peuplé de bêtes
qui ne franchissent pas les lisières
c’est pourtant là qu’il faudrait puiser
là qu’il faudrait être
dans ces sous-bois, ces clairières, ces ronciers
puisque chaque arbre y est une lettre
et que tout y fait signe
*
mon seul lieu est celui-là
j’y suis tout entier
et seul
et pour toujours
il est le temple
le péristyle du temple
où perpétuellement je marche
*
posté à la l’orée de jours futurs
je crois que je ne murmure qu’à peine
le nom de ces mondes de lisières et d’ombres
où dehors et dedans se confondent
*
habiter toujours le même lieu
peuplé du bruit des pierres
d’un peu de jour tissé
d’angles maladroits
*
d’un sentier l’autre je cherche à deviner les noms
regarde les choses à travers leur face de mots
ces parchemins que l’on cueille
entre les feuilles
au bord des chemins
*
là où les ombres se faufilent
mon esprit peut passer
là où se glisse le soleil
mon esprit peut brûler
*
la mer bruisse dans les frondaisons
à l’air doré de la forêt je m’abandonne
car le sous-bois a revêtu le manteau de mes songes
gouttes d’une pluie rose et blanche
clinamen
d’un millier de cyclamens
*
le réseau des branches pareil à celui d’artères cérébrales
même chose pour les racines
l’arbre a deux cerveaux invisibles
irrigués de sève
l’un de ciel, l’autre de terre
*
une source affleure ici
je me demande si cette eau sort de ma tête
ne fais plus guère de différence entre
ce sol d’humus et moi
*
de mon exil
je vois le monde à travers les arbres de la forêt
par touches impressionnistes
mais la forêt est à l’intérieur
les arbres poussent dans ma tête
déforment ma vision des choses
me protègent
*
en quelques enjambées je passe le ruisseau
qui scinde la forêt en deux mondes distincts
flux de feu et de sang il charrie le mercure
animant un géant fait de feuilles et d’ombres
d’un côté la parcelle infime du connu
de l’autre l’infini domaine à explorer
silva incognita
*
sur ce tertre
fleurissent les digitales
sous ce tertre
reposent les ossements d’un ancien seigneur
enseveli avec ses femmes, ses armes et son cheval de guerre
onze esclaves en pleine santé
furent sacrifiés à sa gloire
c’était un grand roi
beaucoup pleurèrent sa mort
qui fut belle et mémorable
mais la mémoire aussi tombe en poussière
*
cette large pierre plate
table des sorcières
trône d’Artus
autel rituel, vasque sacrificielle
en vain mes mains ont exploré sa surface
à la recherche de signes anciens
de bas-reliefs effacés
je suis monté dessus
j’ai failli tomber
j’ai dormi dessous
j’ai beaucoup rêvé
*
errant sur le cromlech
suivant son propre labyrinthe
dans l’ombre des portraits de pierre
une femme erre parmi les os noircis
en quête d’un esprit pour l’enfant qu’elle porte
*
je m’en vais
elle me rejoindra
m’a donné rendez-vous près d’un lac au cœur des bois
je me réveille alors que je m’y rends
*
ne pas oublier le lac ni ses hôtes
je me rappelle surtout sa surface gelée
notre périlleuse promenade
sur l’eau blanche et durcie
le paysage sous nos pieds
*
retour de promenade
des senteurs d’humus collées à la peau
en remplacement des oripeaux du vide portés à l’aller
*
ces montagnes sont mon horizon
cette forêt, ma mémoire
les troncs s’y serrent comme les cheveux sur le crâne d’un enfant
ce ciel reste le ciel
tandis que ce lac qui s’assèche
c’est le temps qu’il me reste
ces montagnes furent mon avenir
et cette forêt, ma muraille
ces oiseaux sont ma bouche, mes yeux
ces arbres morts, des mots, des livres
cette forêt est ma prison
ces montagnes sont l’horizon
hors d’atteinte
et pour toujours hors de moi