« du plus loin de notre mémoire
notre terre dans nos bouches notre
terre nos jardins nos fruits dans nos
bouches les contes essuyés sur les
lèvres des nôtres nos horizons nos
puits du plus loin nous ici depuis
toujours »
Poème de Jos Roy
la terre est stable
dessus il y a la maison de mon père
dedans des mouvements : vapeurs nuées saisons
d’abord les dieux ont peuplé les eaux de formes insaisissables
aujourd’hui on pense
infusoires immenses grouillant d’à peu près vies
parce qu’on est pauvres de nature : ils étaient bel&bien
de parfaits dieux océaniques & très lointainement
furent le socle sur lequel je on bâtirait la maison de mon père
un jour les dieux se sont perdus. la maison est de feuilles ou de pierres
l’eau goutte & des mots sur les eaux apparaissent marchant courant
hurlant je – non encore pensé –
je de brouillard&d’écume – rencontre déjà la double bataille – de fleurs ou d’os
on ne sait pas de quelle matière sont faites les mains des filles des fils d’elle
non-née
le chaos des corps & des mondes à chaque temps il se conjugue
sur la terre fragile dans les paumes des vieux-miens
sur la terre forte j’ai nous avons bâti la demeure
en chantant d’abord nous l’avons bâti & nous j’ai
juré devant les cieux : celle-ci est la plus belle
le chant tombe – la nuit tombe – celle-ci est vérité
quand nous hurlions cela sous nos pieds le travail
minuscule des forces muettes nous ne le sentions pas
parce que nous hurlions & je & nous étions tout entiers
dans le cri le chant nous l’avions déposé avant
empaqueté dans un lange d’étoupe noire
alors mal-né mourut le chant
avant sur le bord du chemin où notre demeure
se bâtissait han&han han&han se débâtissait
avant nous touchions au bonheur imparfait
des familles & des strates nous enroulés
d’ombres & de couloirs nous
pas moins mourants qu’en ce jour
peut-être chantions-nous peut-être heureux
je suis immobile
je suis en marche
par-dessus moi m’étend
& me disperse
& me verse sur ce qui fut & sera
me verse tout possible tout accompli
du plus loin de notre mémoire
notre terre dans nos bouches notre
terre nos jardins nos fruits dans nos
bouches les contes essuyés sur les
lèvres des nôtres nos horizons nos
puits du plus loin nous ici depuis
toujours
le tremblement écroula ciel
piétina rues
les regards trébuchèrent sur les malades & sur les vieux
les autres furent étreints par de longues cordes de désespoir
& puis d’un coup ils tournèrent la clé
& jetèrent les siècles au fond de leurs valises
nus pour ainsi dire nus
errants de force
de force vêtements ôtés
de force demain précipité dans les rigoles
de force chants&poèmes cloués sur les murs absents
de force tout entier repeints
de douleur & de rage
& les immobiles – soi-disant –
tortillant leur tapage autour de drogues archaïques
hosanna dehors
hosanna le poing
sang pur
dieu pur
à la sortie des temples
enfants clairs
dépouillés d’innocence
pas tout à fait présent
ce monde est étrange
la terre toujours humide d’une autre eau
pourtant le corps pèse – de sa masse
il creuse un réel – le pain n’est
pas le même mais qu’importe –
on se nourrit – l’espace est arpenté par
un pas que les muscles ailleurs ont connu
enfin c’est là qu’on se pose où passera
le dernier souffle – enfin c’est là
que doit naître le prochain amour