La Guerre
Kiosque à musique
place des marronniers
mirage de Lectoure
sa musique vieillotte
volette valse et fox-trot
mêlés noce tremblée
longue table blanche
verres tintant les voix
roulent dans les rires
elle se souvient de tout
sa voix chevrote à peine
elle entend la fanfare
sa main vole elle fredonne
mignonne quand le soir
descendra sur la terre
cordes parcimonieuses
cuivres feutrés d’oubli
et que le rossignol viendra
les moustaches du chef
pointent les fausses notes
chanter encore quand
le vent soufflera sur la
verte bruyère nous irons
le tilleul bourdonne se
moque des bruits sourds
de la guerre et le sang
dans ses yeux en allés
ruisselle et les morts
dit-elle s’encanaillent
les charognes pullulent
écouter la chanson des blés
d’or d’un geste de la main
elle désigne le ciel et
tous ces morts là-haut
si jeunes et si joyeux
il ne voit rien d’autre que
ses doigts et ses yeux.
Le portail
Tremblement matinal
des orangers en fleurs
braiement tragique
d’un âne égaré dans le bled
quelques oiseaux pépient
à l’ombre du parfum
mêlé de jasmin arrosé
au coin de la terrasse
bougainvilliers fuchsia
ou bien est-ce la mouna
dans le buffet en chêne
aux portes interdites
citadelle du temps
la clef en est perdue
les meubles recouverts
des draps blancs du départ
tapis du Haut-Atlas roulés
lampes et lustres brillent
dans la pénombre des
rideaux de tulle tirés
de la rue lui parvient
un murmure de vie
la brise marine chargée
d’embruns et de cris
enfants et mouettes
au retour des pêcheurs
fait grincer le portail
il s’ouvre lentement et
tous les morts paradent
au rythme de l’horloge
ils dansent devant lui
s’éloignent en riant
dans l’allée du jardin
sur les chaises paillées
les visages apaisés
l’interrogent du regard.
La chaise
Petites choses qui
m’ont précédé
survivront à cet
instable moi trois
lettres et encore
ouverture un tantinet
ridicule de la bouche
et pour dire quoi
rien qui vaille
mais cette chaise
qui grince un peu
rafistolée comme
par miracle où
mon père et le sien
et sa mère avant
je ne sais qui se sont
assis devant la mer
je les devine attendant
leur tour patiemment
ont vu la fumée des
paquebots en partance
pour Dakar ou Rio
devant un soleil
éteint dont je cherche
en vain le reflet
vacillant les yeux
fermés par l’émotion.
Madrid
Il y a des noms Madrid
il fait très chaud
magasin de guitares
le bruit de l’avenue ouaté
la poussière nage dans
un épais rayon doré
coupe la vitrine en deux
moustache filiforme du luthier
il rit et la guitare brille
aussi grande que moi
mais je n’ai d’yeux
que pour les gens qui passent.
Il y a des noms
Luis Alvarez étiquette pâle
au fond de la rosace
assis face à la porte vitrée
sur une chaise qui grince je joue
Recuerdos de la Alhambra
la vendeuse est figée
un petit chien blanc
fin collier rouge plaque dorée
tire la langue sous la
table immense où sont
couchés les instruments
ils attendent leur tour
au mur les autres pendus
dehors Madrid
dans l’étui de bois
velours grenat la guitare
se tait se cache m’attend.
Il y a des noms
Calle del Pez
sur le trottoir en feu
je me dis espadon et
mes doigts en sueur
serrent la poignée de cuir
je pense au ballon
dans la voiture
il va éclater c’est sûr
il fait trop chaud
Recuerdos c’est si doux
il faudrait que j’arrête de ronger
mes ongles ce serait mieux
on me le dit
il va éclater bouts de caoutchouc
sur les sièges et par terre
il y a des noms Madrid.
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