Quelque chose l’appelle, secoue, clignote, éteint en lui toutes les veilleuses, presse contre son visage un oreiller de plumes rouges. Quelque chose l’appelle et il sent dans son cou la caresse de l’acier, la griffure superficielle des matins reconduits, la grossièreté de leur substance. Il n’y est déjà plus. C’est comme si sèchement une voix l’expulsait de lui-même, comme si les déchirures étaient finalement cycliques. Sans logique. Sans arrêt. Quelque chose l’appelle et peu à peu c’est tout le rêve qui fissure et des bouts de coquille se détachent de sa bouche, de son torse raidi et de ses jambes qui jusqu’alors pendaient gauchement dans le vide. Il n’y est déjà plus. C’est qu’à présent en lui quelque chose crie trop fort.
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L’éblouissement est un choc inévitable, une explosion dont la déflagration le plaque contre le blanc. De petits copeaux de silence lui remplissent la bouche, font remonter d’un trait la menace des regards, l’étonnement naissant devant les cœurs et les battements désœuvrés. Le blanc s’approche plus près de lui, l’avale, le digère si rapidement qu’il ne pense même plus à la mort, ni à toutes ces ombres autour de son tombeau. Son tombeau est un ciel en désordre, et pourtant chacun de ses gestes a un emplacement, chacune de ses blessures, de ses vies effondrées. Son tombeau est céleste et doucement il ressuscite, porte la nuit comme d’autres une croix.
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Mais la coquille de vivre lui semble impénétrable, difficile à cerner quand s’agglomèrent les émotions, les grognes au ventre, les tensions, les nuages toujours enlisés, les tonsures de l’être. Il ne sait pas comment s’y prendre avec cette masse dure qu’il porte toujours en lui, qui le porte aussi dès les montées de fièvre. Dès le matin quand dedans tout s’embrase, de mémoires en croyances, d’amours en lâchetés. Alors il se contente de palper le silence. Dégoulinant de sueur. Bavant lamentablement toutes ses peurs sur le trottoir. Ses peurs sont comme ces escargots que l’on suit à la trace quand revient l’éclaircie. Longtemps après l’averse. Tenaces et brillantes. Incolores. Longtemps après l’averse, ses peurs sont comme vivre.
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L’aube vient comme une levée de corps. La lumière révèle quelque chose d’étrange qui bat à l’intérieur, brouille lentement le monochrome de son regard. Ce quelque chose n’a pas de nom, pas de forme distincte, pas de contours pour s’agripper quand la tempête pousse, pas de nuance, pas d’épaisseur, pas de souffle adoucissant un peu le brûlant de la vie. L’aube vient et il se voit partir avec. Cadavre matelassé. Pierre blanche repêchée dans la mare de la nuit. Pourtant les mains qui le soutiennent lui restent inconnues, portent visiblement plus que ce qu’il est, que ce qu’il lui semble être. Ce n’est pas tant le poids mort des heures qui pèse à cet instant, ni sa violence, ni même sa vérité, ni le front dégarni du ciel quand l’horizon s’allume. L’aube vient mais en lui rien n’est mis en balance. Rien n’est juste.
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Mais ce n’est pas du vide qu’il a peur, ni de la mort qui déroule sa descente de lit. Il ne craint pas non plus ce désespoir épais qui suinte des caniveaux, gagne quelques mètres sur l’aurore, va bercer ceux qui ne dorment plus faute de rêves. Ce désespoir-là a traversé la nuit. Du moins c’est ce qu’il pense et cette idée se répand vite. Les picotements dans la langue, le fourmillement des mots alors que chacun de ses membres est comme piégé de vivre, les vertiges, les rougeurs, les petites boursouflures sur le dos grêlé de l’absence. Autant de symptômes qu’il n’identifie pas, ne veut voir qu’en mirages. Son désespoir a traversé la nuit et lui avec et maintenant il en est proche, s’y appuie comme à l’épaule d’un ami bienveillant.