1
Lorsque les enfants et les oiseaux luttent contre la nuit, chantent jusqu’aux dernières lueurs du jour comme pour les retenir, alors je sais que l’été sera bientôt là et que nous resterons.
2
Il existe de ces instants sans bruit aucun. Je suis alors là, appuyée sur le rebord de ma fenêtre, au bord du monde fou et rien ne se fait entendre. Pas même un train ou une voiture qui passerait au loin. Pas même une vache qui meuglerait ou un oiseau qui pépierait. Rien. Le vent ne souffle pas et aucune feuille ne bruisse. Les insectes de la nuit restent dans leur trou, terrés. Alors je reste-là, guettant le signal du monde, humant l’air si muet, tentant de le saisir de tous mes sens et alors — alors je le sais- je suis heureuse.
3
Je suis heureuse, et je t’ai trouvé, et tu m’as trouvée, et ensemble nous ne sommes plus qu’un, qu’une même entité, une même couverture — de ces couvertures chaudes et épaisses, de ces couvertures qui servent à border celle qui suit, chaque nuit. Celle qui suit dort profondément, profondément bienheureuse. Paisible, elle ne peut soupçonner la difficulté de vivre, notre cadeau empoisonné. Car celle qui suit a été balancée-là sans qu’elle n’ait pu dire mot. Parce que nous l’avons décidé. Nous, les presque dieux. Celle qui suit dort, bienheureuse. Elle ne peut plus rien entendre, pas même nos cris.
4
Ici les vaches ne regardent pas les trains passer. Elles écoutent la nuit les ferries glisser sur l’eau et les moutons d’écume paître dans les vastes champs de rochers. Ici les vaches ne regardent pas les trains passer, elles ne rêvent donc pas à cet homme qui remonte péniblement l’allée de la voiture 15. Elles ne pensent pas à sa main caressante et leur museau souffle seul et nu dans la nuit. Ici, les vaches ne regardent que la nuit qui tombe dans la mer et parfois il se peut — si elles sont au bon endroit — il se peut que le faisceau du phare balayant et les murets, et leur pré ; leur permette alors de voir. Et, si elles sont au bon endroit seulement, elles peuvent alors regarder, à l’étiage de mes pensées, le train de mes espoirs passer.
5
Ciel de sucre rose si vite balayé par le bleu de l’infini… Se peut-il que le jour meurt ainsi ? Qu’il m’offre alors ce dernier élan vaporeux et mousseux, cette dernière traînée de nuages acidulés, ces restes de barbe à papa ? Se peut-il que le jour meurt ainsi, dans ces tons fête foraine ?
Ce dernier souffle du jour, il est à moi, à moi qui n’ai plus rien, ou plus grand-chose. Ce dernier souffle du jour je l’attendais, il est pour moi, moi qui bientôt ne serai plus qu’une âme en peine dans la nuit.
[…] Mon texte est également visible sur la revue Ce Qui Reste (cliquer ici) […]