251 En mon cœur emmuré.
Sous les tôles du camp
Une touffeur de fournaise.
Les plaies fourmillent de vers
Et les yeux sont vitreux.
La boue des urinoirs s’évapore lentement
Laissant sous une vapeur sombre
Ramper un fumet d’ammoniaque.
Cernés des ombres noires
Les enfants ne posent plus de questions
Et s’en vont en silence
Chercher la claire bouillasse
Que sera jours après jours la pitance.
Mes pieds crissent sur la cendre
Des amis et des familles brûlées.
Je crie et blasphèmes en silence car je ne prie pas.
J’essuie des larmes sèches.
Les scories rougeoyantes me calcinent les cils
Quand je pose mon regard
Sur la bouche puante des cheminée du diable.
Les corps nus des compagnons d’infortune
Comme à l’étal des bouchers
Se tiennent immobiles.
Sur les cailloux gelés de la cour infernale.
Du haut des miradors le faisceau nous balaye
En quête d’un mouvement las.
Et s’il se fait un geste
La mitraillette couchera au hasard
Une volée d’entre nous
Et l’attente infinie sera recommencée
Jusqu’au fond de la nuit.
Je ne prononcerai pas le nom de ce lieu de massacre
Aux planches poissées de sang qui a gardé mon âme.
Cela serait danger de perdre un secret
En mon cœur emmuré
Où il reste planté lacérant comme une lame.
331 Sourire Berbère
Chercher encore l’Orient lointain.
Les roseurs des cimes et rougeurs du matin.
L’oued sombre au pied de l’abîme
Qui n’interrompt jamais son orageux silence.
Les plages où le vent efface toute trace de vie
Face aux falaises de dunes
Trouées de caves pour pêcheurs
Aux airs abandonnés de grottes millénaires.
Le désert allumé de soleil
Qui scintille son silice sous la nue des chaleurs.
Les lourdes caravanes de nuit
Aux chameaux impassibles
Suivis de leurs sombres passeurs,
Toutes esseulées au loin.
Les carrés de luzerne au cœur des palmeraies.
Et ce caillou orange qui crisse sous la plante des pieds
A la lenteur du pas de l’âne.
Les soirées de pleine lune la cigarette fumante
Sur le bord du trottoir,
Accompagné de trois amis bien encapuchonnés
Comme des ombres qui complotent
Dans le silence du sommeil des autres.
Quand l’air est immobile sous la voûte étoilée
Et que le blanc des yeux et des dents se donnent des sourires
Au fond des encoignures obscures.
348 Paris rue Nuit bleue.
Tu rencontres les êtres des profondeurs
Dans les tourbillons ombreux
De ta mémoire floue.
Les compliments de leurs paroles muettes
Marquent des silences entre deux malveillances.
Tu traverses des limbes tissés par l’imagination
Pris dans une étoile d’araignée.
Immobilisé tu entends l’éclat de rire du saule pleureur
Qui lisait par-dessus ton épaule
Les petits papiers chiffonnés dans ta main crispée
Couverts de tes poèmes malhabiles.
Derrière la vitre de ce que tu ne veux savoir
Se cachent les monstres qui te hantent.
Les pensées vagues interrompues
Par des somnolences inconscientes.
Comme dans un train de nuit
Hypnotisé par le ram-ram des secousses sur la voie
Interrompue par de longs arrêts en rase campagne.
En plein jour tes rêves éveillés
Sont autrement plus fantasques et plus réels
Que les silences rouillés qui ont rongé tes nuits.
Tu dessines une fenêtre et te jettes au travers
Parcourant les terrains neutres
Qui donnent l’illusion de vivre une autre vie.
Un air de jazz s’échappe d’un soupirail
Tu es le passant immobile de la rue Nuit bleue à Paris.