je vois des femmes travailler
parfois elles se redressent
s’épongent le front les yeux vers le ciel
elles cherchent leurs enfants morts
je ne connais rien du travail de la terre
des corps qui plient autant que l’arbre sous le vent
ni des mains qui tirent la corde des bœufs
je ne sais rien de la douleur aux bras au dos
ni de la sueur à éponger sur la tempe
nous l’avons oublié
la terre les boulons qu’on dévisse
le linge que l’on tape au lavoir
à faire tourner les têtes
nos bustiers de dentelles
nos déshabillés de soie
les yeux des hommes
continuent de nous dévêtir
quels mots ont-elles soufflé à leur mari
quand ils les prenaient sous les couvertures
aimaient-elles faire l’amour
avec la peur de s’arrondir
je suis la mère et l’enfant
la grand-mère et l’arrière-grand-mère
je suis lavandière mais ne m’en souviens pas
ni des champs de patates où je me suis penchée
je suis femme au creux des couvertures
j’attends que la terre me recouvre à mon tour
je travaille parmi les hommes
ils me parlent une langue technique
je ne suis pas ingénieure
mais je comprends les grandes lignes
ils installent des pylônes des antennes
tirent des câbles comme on tire sur un fil
relient les gens entre eux
j’emprisonne ces fils dans des fichiers