« Je me dis souvent
de toute personne
recueillie
en silence
devant un livre ouvert
qu’elle doit
sans doute
je ne trouve pas d’autre image
être en train de prier
un dieu
qui ressemble
au mien. »
Poème de Benoît Artige
Je me dis souvent
que l’asphyxie du poisson maintenu hors de l’eau
est une image trop douce
encore
pour décrire
la sensation provoquée
dans ma vie
par l’absence de livres.
∞
Je me dis souvent
qu’il est du devoir des livres
de se tenir aux aguets
en tous lieux
et peut-être même
entre des pots de yaourts et des paquets de couche
tel que j’ai vu
Erri de Luca Volodine Michon et d’autres
saisis malgré eux
par le succès les honneurs
conséquemment choisis
portés comme il se doit
au plus visible des gondoles de grandes surfaces
pour atteindre enfin
la masse d’irréductibles
qui ne veulent pas être
pris saisis dévorés
par la littérature.
∞
Je me dis souvent
que la littérature
pourrait être
toute ma vie
et cela serait vrai
si pour y accéder
ne serait-ce qu’un instant
il ne me fallait emprunter
de multiples détours.
∞
Je me dis souvent
que sans cette édition
du Livre du Divan
37 rue Bonaparte
1932
en deux volumes
compacts et replets comme des bréviaires
ayant appartenu à Irène Artige
qui les a
sur la première page
paraphés et datés
19 janvier 1944
et certainement lus
je n’aurais éprouvé
un si grand plaisir
à lire à mon tour
La Chartreuse de Parme.
∞
Je me dis souvent
de toute personne
recueillie
en silence
devant un livre ouvert
qu’elle doit
sans doute
je ne trouve pas d’autre image
être en train de prier
un dieu
qui ressemble
au mien.