Revue de poésie contemporaine

pluie (et autres poèmes)

p

 

pluie

de cette petite tris­tesse des
jours qui se restreignent et
partent à vau-l’eau emportés
par la lourde incons­tance du
soleil absent même des rêves
la sourde enfant en arrive à
pen­ser qu’elle n’est pas au
monde qu’il tour­ne­rait tout
pareil si elle n’é­tait pas là
puisque les étoiles existent
qu’elle les regarde ou pas
que la pluie tombe elle ne
l’en­tend pas ce n’est pas
pour elle que le ciel se mouille
voi­là pour­quoi elle piétine
tous les coque­li­cots des
champs — ça valait la peine
mais pas le chagrin

 

à Georges Shéhadé

Vous sou­ve­nez-vous ce bou­quet de violettes
que vous teniez mal­adroit de vos mains liées
et de vos mots face à ma lèvre éclatée
quelles sont-elles les voyelles
que vous ne pou­vez plus prononcer ?

Non, vous ne vous sou­ve­nez pas
de ce prin­temps pré­coce cette année-là
dans votre pays de silence
vous avez le mutisme de la pierre
dans votre rec­tangle de terre

cerises

L’en­fant frêle et vif
a embras­sé l’é­corce lisse
char­nue du jeune cerisier
le chat a sauté
sur la basse branche
la balan­çoire a ployé sous
la vitesse et le poids
il l’a envoyé voler
main nostalgique
esprit fatigué
il a écor­cé le tronc sec et automnal
a lié les longues bandes grises arrachées
à l’in­fi­ni inven­taire des cha­grins oubliés
des cerises il reste les noyaux
l’arbre a gran­di l’en­fant est parti
l’herbe a ces­sé de pousser
les cerises ont pourri
truites filant dans les torrents
sait plus les attraper
par les ouïes
marche dans ses propres pas
visage en pay­sage bosselé
creu­sé par les années
les che­veux ont déserté.
en fili­grane ce qu’il a oublié
revient déferle et rue tangue et vire
dans son esprit saturé
ce mal à pleurer
après tant d’an­nées sanglé
dans l’u­ni­forme noir
cuir tee-shirt jean dandy
dégin­gan­dé dédaigneux,
à man­ger tout seul
dans les piz­ze­rias le soir
lui remontent tout à coup
à la mémoire
les bars éphémères
les hôtels provisoires
les nuits fastueuses
les matins glauques et noirs
disparaître

à Ossip Mandelstam

Il est des jours — j’aimerais ne pas savoir
qu’ils ont exis­té. Il est des nuits si noires
à se sou­ve­nir de tout, de tout ce qu’on sait.

De la joie lente devant une fleur d’hiver
je vou­drais gar­der l’ourlet, suave broderie
à poser sur ce cau­che­mar comme un soupir.

Cette jacinthe, la plan­ter en pleine terre
Sur son gla­cial pays rectangulaire
— cette tombe, muette comme la pierre

Qu’enfin, l’odorante soli­taire aux cent fleurs
Nour­risse ses songes de sa foi­son colorée
Dans sa brume opaque un dièse sur une portée

l’x

le jour est déjà là le bleu du ciel
monte les marches claires
je l’en­tends accro­cher aux
lam­beaux des rêves la douceur
fraîche des dési­rs souterrains
les pétales des roses papillonnent
un peu du bruit du monde s’invite
de si près que je pour­rais y plonger
ma main enfié­vrée de mirages
nom­mez-moi encore de ce mot
que vous me mur­mu­riez à l’oreille
vous le vent d’é­té vous l’ombre claire
vous au nom paral­lèle au mien
nom­mez-moi et nom­mez nos rires

Auteur(s) / Artiste(s)

Astrid Waliszek

Astrid Waliszek vit à Montmartre. Publie poèmes et nouvelles dans des revues papier ou numérique (Dissonances, Paysages écrits, etc) Tient une chronique régulière et avec grand plaisir dans Montmartre à la une. A publié un roman chez Grasset, Topolina. En a trois autres en cours. Enfin, une pièce de théâtre, "Les Ogres", paraîtra en juin 2015 chez Alkémie/Classiques Garnier

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