À l’enseigne
La nuit est l’ancêtre et le jour l’enfant que l’on porte.
Je transporte une mémoire qui ne m’appartient pas.
La nuit est à mon âme tendue comme une enseigne pendue.
Le rêve tourne et boite au fond des rues.
La nuit est l’ancêtre, à mes lèvres , fendue.
Le jour est de sa lettre, à mes lèvres, venu.
Il n’y a pas de rêve là où le sommeil n’entre pas.
Le gardien des portes a besoin de l’aiguille du monde
pour faire le tour de ce qu’il nous montrera.
Besoin de sommeil comme besoin de ce qui ne vient pas.
La nuit veille sur ce qu’elle ne connaît pas.
Skaï
Au fond de la salle, seul et bien las,
Au fond de la salle, il boit comme il se noie,
Et attend l’heure qui viendra.
A la femme emplumée il crache sa fumée,
et réanime le serveur aux gestes éculés.
Odeurs de cendres, et de papier,
Cri du skaï, et battement du chambranle.
Vers le fond de la salle, voilà l’heure qui s’avance.
La ville ose bien entrer, mais elle se met à murmurer.
La ville ralentit, s’assoit, se laisse aller.
Elle se tait, dépose ses banalités sur la banquette d’à côté.
Trois carreaux noirs pour deux carreaux blancs.
Voilà un sol qui mériterait d’être écouté.
Le cendrier jaune est plein de secondes en danger.
Au fond dans la salle il ne nous reste plus qu’à espérer.
Et puis laissons cette heure tapiner à la vapeur.
Le compteur tourne et s’emballe au carrefour des étoiles.
La ville est trempée de son espoir à ses pieds.
Il jette toute sa monnaie,
La maison ne fait plus crédit.
Les nues lui font pitié.
Il s’extirpe des ressorts de la banquette mordorée,
recule jusqu’à la porte ,
et pousse une affiche d’une expo en chantier.
Il lui faudra traverser le boulevard.
Les mouettes se regroupent pour danser.
Alors le long du canal il évitera de se noyer.
Un bal perdu est si vite arrivé.
Il siffle la prochaine heure qui se déhanche
sur le pont de la péniche d’un hollandais.
Il lui jette des carrés de pensées.
La fluviale est en cale sèche,
et alors ?.. ça lui fera les pieds.
Le soleil, lui , installe son chevalet.
La ville racole sur les quais.
Il s’étire et s’installe pour rêver…
Sur les îles Wadden, le ciel n’arrête pas de chialer,
mais au fond de la salle, il y a deux bières et trois baisers.
Ébouriffés, ils s’amusent à se dessiner.
Au fond de la salle, ils ne voient pas les heures passer.
Il sourit.
La ville se retire sur la pointe des pieds , ses godasses à la main,
Une journée de turbin ça donne envie d’aller se rhabiller.
Il dort.
Bah! Le soleil rentrera en tramway.
Et si demain, le temps le permet, il reviendra peindre sur les quais
Milky way
Elle traînait ses tongues sur l’asphalte de juillet
et restait plantée sur la piste,au zénith d’une marée désœuvrée.
Phoques et crèmes dessinaient sur des pales géantes le menu de l’été.
Par les fenêtres des carrosses de la grande criée,
des canettes à l’aluminium mécanique s’échappaient.
Des para-soleil en costumes rayés empennaient la kermesse du ciel.
Les chalands quittaient les caisses en hissant leur carte de fidélité,
les gosses en remorque et quelques travers de porcs les suivaient.
Ses tongues étaient comme deux ailes bitumées sur le miroir de juillet.
Son idée s’effilochait à la mesure de son short usé.
Elle rêvait d’étendue glacée,
un milkyway en poche
et le bruit de la monnaie.