Revue de poésie contemporaine

En désertant les grandes orgues… & Au jardin

E

Dessin de Zoé Landry
Des­sin de Zoé Landry

En déser­tant les grandes orgues
des mariages dans le marbre,
des opu­lences empruntées,
des funé­railles dans l’encens,
un homme a cra­ché d’un jet le petit bonbon
à l’abricot qu’il suço­tait l’après-midi.

Une frian­dise mordillée
et pétrie du désir de la seule salive
aimable com­prit que l’heure n’était plus
à l’amour fol et aux agrumes.

Entre sa car­casse amoin­drie que des dents adorées
avaient fendue
et quelques noyaux d’olive
jetés sur le mar­ché, comme elle, par des promeneurs
au cré­pus­cule de leurs badi­nages anonymes,
point de hié­rar­chie : la soli­da­ri­té des restes. Ils partageaient
une fosse com­mune de trot­toir faite
d’espadrilles pour fou­ler leurs promesses
et de papiers frois­sés de toutes les couleurs
pour faire com­prendre au sol que c’était juillet.

La bouche encore sucrée disait
de sa superbe, de son histoire,
de ses mythes étranges ou cré­dibles ou à
mou­rir d’ennui,
au petit bonbon :
« Voi­là qui res­semble à de l’amour,
comme c’est doux.
Incon­sis­tance d’abricot, tu es deve­nu bien gentille
d’ainsi rou­ler sans rien me dire.
Comme tu m’aimes et comme c’est bien.
Peut-être nous par­le­rons-nous demain. »

Dessin de Zoé Landry
Des­sin de Zoé Landry

Au jardin

« Il ne sont pas de moi, ces mots que je vais dire »
Pla­ton Le ban­quet.

 

Sous une ton­nelle verte, une table verte,
des arbres verts, des chaises vertes,
et une citronnade.
« Dix ans de plus et huit kilos ont été nécessaires
beau­coup de che­veux gris et un début d’abdomen. »

J’ai mis mon vert de travail
et les femmes dont les yeux sont verts
sont tristes comme le diable.
« Deux enfants ont été néces­saires et sept maisons ».

La fan­fare joue du Bach.
Un gar­çon à rayures jaunes s’accoude
ten­dre­ment en regar­dant une fillette
nos­tal­gique, la petite sœur de quelqu’un.
Je lis des poèmes de Vini­cius de Moraes
pour une femme usée.
« Néces­saires trois livres de poé­sie et une opé­ra­tion de l’appendicite. »

Il y a six mois, j’étais enfant.
La fan­fare joue la musique de Zorro.
Glace au cho­co­lat, cha­peau fripé,
quatre langues dif­fé­rentes, des applaudissements.
« Néces­saires des sépa­ra­tions, tant de séparations,
une séparation. »

Tu seras calme en m’oubliant
comme on s’endort.
« Ta grâce che­mine à tra­vers la maison.
Tu bouges blin­dée d’abstractions, comme un T. »

Tu seras content et patient enfin
au sou­ve­nir de tes vieilles revanches.
« Tu es si pro­fon­dé­ment que tu pré­cises toutes les choses. »

J’aurai fait ton bon­heur à ma façon,
comme savent le faire seuls
les cadres, les vitres, les ponts, les stèles.
« La chaise est chaise et le tableau est tableau
parce qu’ils par­ti­cipent de toi » lui diras-tu.
« Tu as des seins, et des larmes, et des pétales »
lui diras-tu encore. Tout mon amour idiot
pour un « Va-t-en ! ».

Je connaî­trai la cha­leur profonde
de te savoir heu­reux et un,
et père, mari, vieillard, ancêtre.
J’anticipe ta mort que tu m’as chantée
un jour là-bas dans votre tom­beau de dragée :
je suis quelqu’une qui n’est pas ton ennemie.
« Et je te répon­drai, à regar­der avec ten­dresse mes jambes que l’amour a pacifiées »
que tu auras été une merveille.

Dessin de Zoé Landry
Des­sin de Zoé Landry

Auteur(s) / Artiste(s)

Ariel Spiegler

est née en 1986 à Sao Paulo. Elle vit et travaille à Paris.

Zoé Landry

Zoé Landry est une sérigraphe illustratrice dionysienne. Inspirée par les Wax et les textiles du monde entier, elle aime jouer avec des couleurs vives et des formes franches. Ses nombreux carnets de voyage sont la source des motifs et des paysages qu’elle applique sur des constructions, des textiles, des maquettes et des carnets.

Ses voyages l’ont fait dessiner, ses dessins vous feront voyager.

Son site internet : www.zoelandry.fr

Revue de poésie contemporaine

Articles récents

Auteurs & artistes

Méta

En savoir plus sur Ce qui reste

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading