Revue de poésie contemporaine

Casque (et autres poèmes)

C

 

casque

décou­pé à l’emporte-pièce
dans la cagoule anti-feu
le médaillon de tes yeux

ellip­tique ton regard sous la visière
qu’absorbe le zéro de bitume
par­mi des chiffres qui tremblent
les compteurs
le levier
je me sou­viens d’une pho­to où tu vivais

tu démarres sur le grand zéro
tu pars

tu reviens dans ton dos
au départ

pilote de rien
pour finir

ton casque jaune sur le meuble

enfi­lé
héros à ton insu
ampli­fié le son du souffle
ton nom que j’y criais
réson­nant me restait

tu tonds le jardin
tu montes un mur
tu bois ton apé­ro rare
je suis tout dans ce casque
qui me sépare
mais nous rapproche
je te suis
suis la route
et la route
ima­gi­naire nous défie
réelle nous défait
je suis là
je res­pire transpire
dans ton casque ta sueur sèche
que je ranime à celle qui me vient
de ce qu’en toi je brûle.

le danseur

d’abord la main noire,
comme taillée dans le cuir
pous­sié­reux d’un éléphant.
les ongles bom­bés ont
un jaune de griffe,
et même lise­rés de crasse
semblent manucurés.
la raie du nez et le front
sont peints en bleu,
comme Pier­rot quand il
s’apprête à n’être plus que
la mer per­due au ciel.
les yeux plis­sés vous percent,
noirs, sans pupilles,
sai­sis­sants ou rieurs,
on ne sait,
disent qu’ils ont raison,
que vous avez tort,
ou que vous croyez
qu’ils ont raison
et que vous avez tort.
ils vous lisent.
vous pen­sez qu’ils vous lisent.
ils ont encore ou déjà
quelque chose au-dedans
qui vous pré­cède ou succède.
cet homme contemporain
serait un aïeul,
s’il n’y avait
contre ses lèvres
une ciga­rette roulée
dans une page de livre
à la langue étrangère,
s’il n’y avait
cette manière de médaille
à son front
frap­pée d’un marsupial,
d’une autruche,
d’un Ter­ri­to­ry of New Gui­nea.

rose et piments

je suis là pour faire le point.
prendre du recul, comme on dit.
et je suis seul avec la rose d’un ami.
quand je suis arri­vé ici il y a cinq jours,
satu­ré, rai­di, perdu,
mais vivant de nouveau,
le cœur bat­tant comme à la guerre,
elle était là, épanouie,
dans son rouge obs­cène de cérémonie.
ma grande main n’aurait suf­fi à la tenir.
sa tige plan­tée dans un vieux bocal de jus d’orange,
buvant à l’eau même où bar­botent des piments.
cela la booste, m’as-tu dit, mon ami.
incré­dule, j’y ai four­ré le nez.
elle était si fière. je l’ai crue factice.
par hasard, un amour ancien a frap­pé. a beau­coup dit.
qu’il par­tait loin. elle n’a pas bougé.
les amours en cours, à vie, sont aus­si passés,
s’appliquant à mon retour. la rose a tenu.
c’est ce soir, seul, après des jours de portes ouvertes
et refer­mées, que je remarque qu’elle aus­si s’est close.
séchée. transie.
on dirait main­te­nant un cœur de petite bête
noir­ci, à l’envers, au bout d’une pique.
je m’en approche.
elle me fait pen­ser : c’est une bet­te­rave feuilletée.
les piments tiennent pour de bon.
ils attendent
comme moi.
je me demande : et les pétales ?
et les piments, ce sont eux qui sont faux ?
je suis debout, encore.

héron

le voir d’un coup, comme ça, à la nuit tombée
choque comme une annon­cia­tion, un miracle.

trois colonnes de lumière der­rière lui tremblent sur l’eau maigre et la vase.

les éclai­rages glauques du pont sur le bief.
les feux de croi­se­ment inex­tin­guibles bruis­sant au loin.

le corps éthé­rique du centre com­mer­cial, bleuté
déchi­ré par les cou­ronnes nues du petit bois qui m’abrite.

trois colonnes de lumière trahissent.

dans sa pos­ture ver­ti­cale, pattes ancrées dans l’eau, le héron attend.
taxi­der­mie, mais le cœur là, tam­bour battant.

un dieu païen des­cen­du sur terre pour croire. assis­ter à l’homme.
éclair de sang et de plumes piqué dans l’eau douce

et qui toise l’énervement humain,
guet­tant l’instant pro­pice où le bec entre­ra dans la rivière et la proie.

entaille d’obscurité et de paix faite à la chair du monde.
et pleine d’orgueil. et pour­tant le contraire de l’homme.

nénuphar

ses racines sont enfouies sous une terre noyée.
il tra­verse une obs­cu­ri­té mince et calme.

d’infimes créa­tures l’observent ou l’évitent,
le suçotent ou dévorent.

mais c’est tout là-haut,
au rez-de-chaus­sée de la lumière,

à cette sur­face à vos pieds,
que se développent

ses vastes feuilles,
et sa fleur sous le plein soleil,

où se reposent d’autres déri­soires créatures,
figées pour un temps.

insectes brillants, anoures discrets,
et vos yeux bais­sés que ce même soleil use.

Auteur(s) / Artiste(s)

Stéphane Bernard

Stéphane Bernard, né en 1972, vit à Saint-Nazaire. A publié des textes dans les revues N 4728, Verso, Diérèse, Les États Civils, Magnapoets, mgv2, Francopolis, Le Capital des Mots, FPDV, Comme en poésie, Microbe, Rue Saint Ambroise, lorem_ipsum, Nouveaux Délits, Dissonances, PLI…
Son blog : http://unemainestaussiunpoing.blogspot.fr/
Anime le Séminaire (http://leseminaire.blogspot.fr/), table de discussion autour de l'écriture.

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