Revue de poésie contemporaine

Suis-je moi-même l’un des leurs ? (et autres poèmes)

S

 

Suis-je moi-même l’un des leurs ?

Sou­vent je rêve d’un impos­sible retour
dans un lieu qui n’existe pas
sur les cartes
ou qui y figu­ra peut-être…

Le lierre et l’ennui
s’y enlacent.

On n’y croise peu de monde
dans les cor­ri­dors en ruines,
sauf des êtres incomplets
han­tés par leurs manques…

Ain­si cet homme
qui a oublié son nom,
il tourne en rond sur
des soie­ries d’Ispahan
les chaus­sures pleines de merde.

Ain­si cette femme
à la nudi­té parfaite
dont la beau­té intègre
aurait besoin d’être rectifiée :
elle porte sa tête en pendentif.

Tous ces êtres m’ignorent
et semblent même ignorer
leur sen­ti­ment d’exister :
suis-je moi-même l’un des leurs ?

Le château de vallée obscure

Le châ­teau de val­lée obscure
par ses ailes
tous les corridors
mènent au plus secret

Il y a ce miroir
taillé en diamants
où les nombres se perdent
pas de reflet pour un regard

Et chaque jour
revient l’heure inlassable
où les âmes de nos vices
nous ramènent sur nos pas

C’est sur ce seuil de lave
bien sûr
que les marches piétinent
au basalte des crânes.

Le cercle et la parole

Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse

l’attente du regard

Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
des­sine comme par jeu
la fron­tière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure

De son pouce
se tra­verse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve la braise
et la brindille
et que l’oreille
se tende vers le soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas chan­gé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le miroir de nos âmes !

J’ai épousé la lumière

J’ai épou­sé la lumière
elle me suit comme une ombre
comme un chien affamé
et sa pâleur nocturne
a l’éclat tranchant
d’une lame acérée

La chambre où je repose
n’a ni fenêtre ni balcon
aucune clef ne délie séjour

Que s’avance

Que s’avance sur ce che­min – ombre –
le poète la tête haute
cou­ron­née de brouillard
et sa sœur
la men­diante Liberté

Il n’y a pas de hasard

si ceux qui n’acceptent pas la douleur
ne méritent pas nom de Créateur
ne méritent pas de voir le ciel
ni les étoiles
muettes

Comme ce tout pre­mier pas…

Auteur(s) / Artiste(s)

Nicolas Rouzet

Né en 1970, originaire de Dunkerque. A dix-huit ans, il part comme matelot à Mururoa. Etudes d’Histoire de l’Art à Paris. Vit ensuite sept ans dans les Cévennes. En 2005, il arrive à Marseille pour y enseigner en lycée professionnel. Il y côtoie aussitôt quelques figures littéraires : André Ughetto et les poètes de la revue « Autre Sud », Dominique
Sorrente qui anime le Scriptorium (probablement la survivance de l’un des derniers salons littéraires dans cette ville), Marie-Christine Masset et plus tard, Isabelle Alentour, Leonor Gnos et Jasmin Limans.

Il a publié deux récits :
la visiteuse (MLD) en 2011
Villa Mon Rêve (éditions Mazette) en 2019.

Ses influences sont multiples : la peinture flamande, les Caravagesques, Pierre Dhainaut, les grands hérétiques méditerranéens comme Jean Malrieu ou Joë Bousquet, le cinéma de Tarkovski et Bergman, les poètes soviétiques de le dissidence (Mandelstam, Akhmatova, Tsvetaïeva).

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