Revue de poésie contemporaine

Réveil (et autres poèmes)

R

RÉVEIL

Pour Merle, In memoriam.

La beau­té devient matin, lumière et amants
célestes dra­pés dans les nuages, au-des­sus d’un rougeoiement
de tulipes afri­caines fai­sant reten­tir des langues
en trom­pette. Les nerfs coa­gulent la lumière, quand les gout­te­lettes coulent
des yeux pen­dant des siècles en tis­sant montagnes
et monu­ments, équar­ris sur l’argile et aplanis
dans le sable. Un fleuve loin­tain écrit son nom
sur l’ardoise, les hié­ro­glyphes cer­nés de vert.
Les col­lines chantent leurs libret­tos iras­cibles au vent.

Le matin est un chant de péré­grin, aéroporté,
ici rien ne colore l’esprit (sauf l’endroit)
sans le tour-de-force*  1 du Niger ou le Nil
suin­tant du sar­co­phage d’un pharaon,
l’Histoire trouve le récon­fort pro­fon­dé­ment enfoui dans le schiste
avec lance et her­mi­nette. Les lézards griffent le fumier
dans l’espoir de ves­tiges d’un pain azyme laissé
par quelque sombre pas­sé juras­sique. Les Pâques saignent
pour une foi éclai­rée – les tyrans se multiplient.

La chair nour­ris­sant la chair, rési­liente comme l’acier, façonne
de nou­velles dimen­sions ; forme cin­trée ; lumière muette,
créant à par­tir du néant, le son. Leurs cris
de liber­té ébranlent la matrice de Saba, transperçant
ses murs, en exi­geant d’être entendus.
L’incapacité à com­prendre le sens de ces signes
non écrits ne peut pas être cette créa­tion perdue.
Une mer déchaî­née se divise. Des voix ruisselant
dans une plaine îlienne, luttent avec les mots.

Oublie ces rou­leaux anciens, leurs sym­boles nourrissent
les dicho­to­mies de la pen­sée. Nous, les fils interdits
des plan­teurs, nous sommes indivisibles,
liés par une des­ti­née misé­rable, nous savons
que c’est à la grâce et non à la loi que nous devons de survivre.
Demande à un enfant soma­li mou­rant de faim ;
demande à une mère du Pen­jab pen­dant que la mous­son fait rage ;
demande à un père de Bel­fast, armé de sa fusée de cordite :
Ils se mêlent au sang qui coule en moi à la recherche de la cause.

Ces bips, ils tapotent dou­ce­ment à ma porte d’entrée
je ne puis être afri­cain, quand trois vieux mondes
dans ma dimen­sion sont à nou­veau blanchis.
Avec quel chro­no­mètre mesu­rons-nous le temps,
quelle uni­té étran­gère mesure la longueur
de mes jours ? Les mil­lé­naires prennent la forme du sable
dans les sabliers, aus­si rapides que les secondes ils se multiplient.
Enfoui dans cet endroit global,
j’ai peur quand des gnomes vivants éclipsent leurs morts.

 

AWAKENING

For Merle, In memoriam.

Beau­ty becomes mor­ning, light and heaven
lovers dra­ped in cloud, above a blaze
of Afri­can tulips bla­ring trumpet
tongues. Nerves curdle light, as dro­plets pour
from eyes for cen­tu­ries wea­ving mountains
and monu­ments, squa­red on clay and leveled
in sand. A dis­tant river writes her name
on slate, the hie­ro­gly­phics hem­med in green.
Hil­ls chant their gut­sy libret­tos to the wind.

Mor­ning is a peregrine’s song, airborne,
here nothing colours the mind, (except for place)
without the Niger’s tour-de-force, or the Nile
oozing from a pharaoh’s sarcophagus,
His­to­ry finds solace buried deep in shale
with spear and adze. Lizards claw the midden
hoping lef­to­vers from some dark Juras­sic past
yield unlea­ve­ned bread. Pas­so­vers bleed
for a dis­cer­ning faith – tyrants multiply.

Flesh bree­ding flesh, resi­lient like steel, shapes
new dimen­sions; ben­ding form; muting light,
crea­ting from nothing, sound. Their screams
of free­dom rat­tle Sheba’s womb, piercing
through its walls, cla­mou­ring to be heard.
Fai­lure to grasp mea­ning from unwritten
signs can­not be that lost creation.
An angry sea divides. Voices trickling
across an island plain, wrestle with the words.

For­get those ancient scrolls, their sym­bols feed
dicho­to­mies of thought. We the planters’
for­bid­den sons are indivisible,
bound by a god­for­sa­ken destiny
kno­wing we sur­vive by grace, not by right.
Ask a Soma­li child dying of hunger;
ask a Pun­ja­bi mother while mon­soons rage;
ask a Bel­fast father, armed with his cor­dite fuse:
They merge with the blood inside me in search of cause.

These blips, they tap soft­ly at my front door
I can­not be Afri­can, when three old worlds
in my dimen­sion are laun­de­red anew.
By which chro­no­me­ter we mea­sure time,
which forei­gn yard­stick mea­sures the length
of my days? Mil­len­niums mould with sand
in hour­glasses, fast as seconds multiply.
Buried in this glo­bal plot,
I fear when living gnomes eclipse their dead.

TOI

Pour PCD 27 juin 1976.

Je ne puis deman­der davan­tage. Deman­der à la rose
d’être une rose, une fleur appliquée
envoyant son arôme ; l’odeur des océans,
le par­fum boi­teux de l’intimité,
un vent de hasard souf­flant le chaud
dans les cour­sives du pouvoir,
la vapeur sur mes cos­tumes ami­don­nés et repassés.

Aube, je t’observe mon­ter avec la démangeaison.
Dans une sai­son où brûle le soleil,
tout est d’or ; un visage d’or souriant
sur mes poèmes. Je ne dois pas rêver, les visages
sont façon­nées dans les usines quand les falots faiblissent.
Ces ami­tiés oubliées s’agitent et tremblotent,
ta flamme brûle sur mon oreiller.

Les rêves retiennent les larmes qui tachent le coton :
Une courte che­mise de nuit pelant un pot d’ignames ;
des mains sai­gnant sur la nageoire friable du vivaneau
rouge… Dans la cui­sine, ton art est suprême,
tou­jours recon­nu, mais rare­ment avec des mots.
Je ne par­le­rai pas le lan­gage que brûle
le papier, un calme bégaie­ment, rien que pour tes oreilles.

Pour com­prendre les sen­ti­ments du cœur

je dois d’abord me comprendre.

Pour­quoi toutes ces années per­dues ont appris,

aspi­ré au contact du poème, et à toi.

Tu es le matin, à l’aube le som­meil tremble,

excite une main engour­die qui embrase le papier,

et tout ce que j’écris devient toi.

Devient une crique avec sa plage sans rochers ;
un bat­te­ment d’ailes de tyran à longue queue, un claquement
de rames – la mélo­die vivante de l’homme
et de la bête. Je ne vois ces poèmes qu’à travers
tes yeux, ce qui coule dans ces veines ne peut
être du sang ; ne peut être de la chair là où les col­lines sont de chair,
ne peut être de la vie quand les blancs embruns de la mer

Sur­vivent à ce ten­don mor­tel et conti­nue­ront de vivre
par-delà la houle ner­veuse du temps.
Matin, tu es à jamais, la rosée,
un Beau­jo­lais Nou­veau*, qui te tache les lèvres.
Le démon dans l’aine divague pen­dant que les flûtes de Noël
annoncent le sang du Nou­vel An. Tu prends une forme
à par­tir du silence, domi­nant le rêve de tout son haut,

Par-des­sus cette flamme inextinguible.

Je ne modi­fie­rai pas ces poèmes pour que tu

y entres, ils coulent comme nos rivières

enva­sées empor­tant de vagues souvenirs

vers la mer tou­jours bien­ve­nue. La mer

et mes pre­mières méta­phores refusent d’être noyées

en toi. Toi, matin pour mes canoës –

Aube sur mes traces d’herbe, flâ­nant dans une étroite

saillie mon­ta­gneuse, un gouffre d’eau lim­pide libérée

du regard réflé­chi des blondes. Libé­rée de

la soif qui sol­li­ci­tait l’humeur de ton corps,

mais trou­vait sa cha­leur. Lais­sez-moi écrire des poèmes

pour vous deux, femmes que j’ai aimées

et haïes quand les moments se soulèvent.

YOU

For PCD June 27, 1976.

I can­not ask for more. To ask the rose
to be a rose, a dili­gent flower
mai­ling its scent; the odour of oceans,
the lame smell of intimacy,
a for­tu­nate wind blo­wing heat
through the cor­ri­dors of power,
blo­wing steam on my starch-iro­ned suits.

I watch you dawn with the itch rising.
In a sea­son when the sun burns
all is gol­den; a gol­den face smiling
on my poems. I must not dream, faces
mould from fabric when lan­terns dim.
Those for­got­ten friend­ships flirt and flicker,
your flame burns on my pillow.

Dreams hold back tears that blot on cotton:
A short night dress pee­ling a pot of yam;
hands blee­ding on the red snapper’s brittle
fin… In the kit­chen, your art is supreme,
ack­now­led­ged always, but sel­dom in words.
I will not speak the lan­guage that paper
burns, a quiet stam­mer, for your ears only.

To unders­tand the fee­lings of the heart

I must first unders­tand myself.

Why all those was­ted years were learning,

year­ning for the poem’s touch, and you.

You are mor­ning, at dawn sleep trembles,

excites a dumb hand that ignites paper,

and eve­ry­thing I write becomes you.

Becomes an inlet with its unro­cked beach;

a flap of scis­sor-bird wings, a slap

of oars – the live­ly melo­dy from man

and beast. I see these poems through your eyes

only, what flows in these veins cannot

be blood; can­not be flesh where hil­ls are flesh,

can­not be life when the sea’s white splurge

Out­lives this mor­tal sinew and will live
on beyond the ner­vous heave of time.
Fore­ver mor­ning you are, the dew,
a Beau­jo­lais Nou­veau, its stain on your lips.
The devil in the groin raves while Christ­mas flutes
announce the New Year’s blood. You take shape
from silence, towe­ring above the dream,

Above this inex­tin­gui­shable flame.

I will not alter these poems for you

to enter them, they flow like our silt-bound

rivers bea­ring vague memories

to the ever wel­come sea. The sea

and my first meta­phors refuse to be drowned

in you. You, mor­ning to my canoes –

Dawn on my grass tracks, traip­sing through a narrow

moun­tain ledge, a gulf of clear water freed

from the blonds’ reflec­ted stare. Freed from

the thirst that cra­ved your body’s humour,

but found its heat. Let me write poems

to you both, women I have loved

and hated as the moments heave.

DE SALOMON À SABA

Les croyants débitent leurs his­toires, en cou­sant des points,
avec des modèles aus­si vieux que leur foi hébreu.
À la recherche d’indices pour les accrocs de la créa­tion perdue,
des pul­sars explo­sant façonnent ce cour­roux solitaire.

Des incen­dies balaient les hori­zons dans le ciel,
atti­sés par une race à qui on a refu­sé d’exister.
Les scribes dans le silence du temple tis­saient un mensonge,
effa­çant des notes ren­voyant à des réfé­rences analogues.

Mais la mélo­die de Saba est royale jusque dans la veine,
les signes déter­rés en Nubie parlent de classe.
La com­plexion n’a pas de nuance pour colo­rer la souffrance,
cau­té­ri­sant sans rete­nue à tra­vers des prismes de verre.

Pour périr à la recherche du sang ancestral,
Il faut le feu et non les flots déchaînés.

DE SALOMON À SABA

Belie­vers loop their yarn, threa­ding stitches,
pat­terns old as their Hebraic faith.
See­king clues to lost creation’s glitches,
Explo­ding pul­sars shape this lone­some wraith.

Fires­torms sweep hori­zons in the sky,
ange­red by a race denied existence.
Scribes in the temple’s silence wea­ved a lie,
era­sing notes to kin­dred reference.

Still, Sheba’s strain is royal to the vein,
ciphers unear­thed in Nubia speak class.
Com­plexion has no shade to colour pain,
sea­ring unbrid­led through prisms of glass.

To per­ish sear­ching for ances­tral blood,
It must be fire, not the strag­gling flood.

NOBLESSE OBLIGE

Peux-tu ne pas tenir compte du fléau de la canne
Dans les val­lées mau­dites, oubliées au soleil ?
Livide, le pavillon mar­chant dévore la renommée ;
Assu­jet­ties par la colère ses cou­leurs passent.

Entends le sif­fle­ment crois­sant des fouets,
Cla­quant sur les dos ances­traux ; des cris de douleur
S’échappent de hanches mécon­tentes qui se contorsionnent,
À moi­tié aveu­glées, gar­ro­tées aux chevalets.

Le temps mûrit la haine, la peur conjure le respect,
La rai­son rem­place le juge­ment hâtif.
L’ironie des chaînes ne peut s’attendre à ce que
Nous soyons moins nobles dans le gouvernement.

Qui peut s’abstenir de cette tache qui aime à s’effacer
Qui marque d’un cer­veau notre droit de naissance.

NOBLESSE OBLIGE

Can you dis­count the mise­ry of cane
In val­leys cur­sed, for­got­ten in the sun?
Livid, the red ensi­gn devours fame;
Sub­dued by anger its colours run.

Hear the rou­sing whistle of the whips,
Flai­ling across ances­tral backs;
Screams writhe from sore dis­grunt­led hips,
Half blin­ded, pinio­ned to the racks.

Time mel­lows hate, fear conjures respect,
Rea­son super­cedes the has­ty judgment.
The iro­ny of chains can­not expect
We’d be less noble in the regiment.

Who can for­bear that self-effa­cing stain
That marks our bir­thright with a brain.

CARTES POSTALESPARIS, 1890

Quar­tier Mont­martre : le minus­cule vil­lage en pente sinuant
comme une larme tom­bée de l’œil du Sacré-Cœur, passant
la rue Chappe, des­cen­dant, jusqu’à ce qu’il donne sur le Bvd Cligny,
dans Pigalle, sous les ailes immo­biles du Mou­lin Rouge.
Degas blan­chit à la craie dans une pirouette sa bal­le­rine inachevée
et Lau­trec mau­grée dans ses crises syphi­li­tiques en sirotant
de l’absinthe au bar. Des géants comme Zola
et Mau­pas­sant sont de conni­vence avec les syco­phantes politiques
convoi­tant la lie de leur génie pour pré­ser­ver les arts.

Rodin, dans son ate­lier dans la Rue – j’ai oublié où – fait trans­pi­rer un bloc
de cal­caire dolo­mi­tique, encore jeune, encore une éternité
avant de se trans­for­mer en marbre – contem­plant les formes.
Tout cela se passe dans cette “ville-lumière”. C’est la belle époque* !
Volants et cri­no­lines enjôlent les mous­taches en guidon,
qui font la queue pour obte­nir les faveurs des dan­seuses des Folies Ber­gères,
à un pâté de mai­sons de la foule. Trop boi­teux pour écrire, je me lève
plein de res­pect pour toute cette his­toire flot­tant dans cette carte de 5 sur 7
cou­leur sépia pour pré­ser­ver l’époque radoteuse.

Manet est mort depuis sept ans et Van Gogh disparaît
de sa main cette même année ; Pissarro
et Cézanne portent des bras­sards noirs en mémoire
d’un mou­ve­ment qui est mort avant son maître, dans le cadre
de son pre­mier chef‑d’œuvre. La conscience ne tien­dra pas fermement
les lignes, elles doivent s’affaisser car Apol­li­naire n’a que dix ans et Rimbaud
est trop malade à trente-cinq ans pour leur venir en aide. L’époque engen­dre­ra son génie
même quand le temps fera tout pour s’y oppo­ser. Un jeune Matisse joue avec ses flammes,
Picas­so, vivant en Espagne, s’apprête à rece­voir la lumière qui embrasse tout.

POST CARDSPARIS, 1890

Quar­tier Mont­martre; the tiny vil­lage mean­de­ring downhill
like a tear­drop from the eye of Sacré-Coeur, past
Rue Chappe, down­hill, until it floods drains on Blvd Cligny,
in Pigalle, under the sta­tio­na­ry sails of Mou­lin Rouge.
Degas chalks in a pirouette on his unfi­ni­shed ballerina
and Lau­trec moans through his syphi­li­tic fevers with a sip
of absinthe from the bar. Giants like Zola
and de Mau­pas­sant pan­der to poli­ti­cal sycophants
year­ning for dregs of their genius to pre­serve the arts.

Rodin, in his stu­dio on Rue – I for­get where – sweats a slab
of dolo­mi­tic limes­tone, still green, short of a couple
aeons before it turns to marble – contem­pla­teng shapes.
It is all hap­pe­ning in this “city of light.” C’est la belle époque !
Frills and cri­no­lines ens­nare hand­le­bar mustachios,
queuing for favours from dan­cers at Les Folies Ber­gère,
one block away from the pack. Too lame to write, I rise
in awe of all this his­to­ry floa­ting across this 5x7 card
tin­ted in sepia to pre­serve the dri­vel­ling age.

Manet is seven years dead and Van Gogh goes
by his own hand in that same year; Pissarro
and Cezanne are wea­ring black arm­bands in memory
of a move­ment that died before its mas­ter, in the frame
of his first mas­ter­piece. Conscience will not hold lines
firm, they must sag for Apol­li­naire is only ten and Rimbaud
is too ill at thir­ty-five to help. Age will spawn its genius
even when time contrives against. A young Matisse toys with its flames,
Picas­so alive in Spain, primes to receive the all embra­cing light.

ST. PIERRE: MARTINIQUE, 1902

Des nuages gris grom­mellent, har­na­chant la pluie qui s’agrippe

au ver­sant de la mon­tagne. Un man­teau gris cache le soleil,

refu­sant de tom­ber sur cette “Perle des Antilles”

où des fêtes du cré­pus­cule à l’aube dans la Rue Monte-au-ciel

affluent avec la lave dans la Rue Levas­sor. Eau :

la Roxe­lene est de pierre. Le temps tra­duit ses larmes

en écume.

Le rhum attise les feux dans chaque cre­vasse : dans

la sen­tine de cette ville, reje­tée par la mer,

condam­née à se repen­tir, ou affron­ter la fin du monde* – style

fin de siècle*, atten­dant le vote pré­vu dans

trois jours.

En toute autre sai­son ils auraient fui,

fuite et cendres vers Fort-de-France, avec son châle de brume

grise du jour.

Enter­ré en enfer, Syll­ba­ris n’entend rien. Pas même

l’habituel tour­noie­ment du scorpion.

Pas de cha­leur cau­té­ri­sant la chair ; pas d’os blan­chis­sant jusqu’à

la pierre. Rien… le nuage rouge et chaud des­cend tranquillement

les flancs de la mon­tagne. Rien, la vie est une sculpture

conser­vée dans la pierre. La mer, vivante dans son pot de terre,

fré­mit sous le poids du char­bon ardent.

Après que l’horloge du mar­ché s’est arrê­tée à neuf heures moins

le quart, les pluies sont arri­vées, les cannes ont pous­sé et le rhum a coulé

dans les cuves. Il existe une chan­son liée au passé

du fleuve, trop faible pour délo­ger ses pierres, flot­tant sur

des langues d’herbe, elle ser­pente à tra­vers le cal­caire noirci

comme un thrène qui jamais ne se tait, mar­chant tout droit

pour sou­te­nir ses morts.

ST. PIERRE: MARTINIQUE, 1902

Gray clouds grumble, har­nes­sing rain that clings to

the mountain’s side. A gray cloak blots out the sun,

refu­sing to fall on this “Pearl of the Antilles”

where fetes from dusk till dawn on Rue Monte-au-ciel

flow with lava into Rue Levas­sor. Water;

the Roxe­lene is stone. Time trans­lates its tears

into foam.

Rum swells the fires in eve­ry cre­vice: in

the bilge of this town, rejec­ted by the sea,

doo­med to repent, or face la fin du monde – fin

de siècle style, wai­ting for the vote due in

three days.

In any other sea­son they would have fled,

fly and ash to Fort-de-France, shaw­led in the day’s

gray mist.

Buried in hell, Syll­ba­ris hears nothing. Not

even the habi­tual scorpion’s twirl.

Not heat sea­ring flesh; not bone whi­te­ning to

stone. Nothing… the red hot cloud saun­ters down

the mountain’s slopes. Nothing, life is a sculpture

pre­ser­ved in stone. The sea, ‘live in its ear­then pot,

sim­mers under the weight of hot coal.

After the mar­ket clock stop­ped at quar­ter to

nine, the rains came, the canes grew tall and rum flowed

in the vats. There is a song stuck to the river’s

past, too weak to dis­lodge its stones, floa­ting on

tongues of grass, it swirls through the bla­cke­ned limestone

like a dirge that never fades, yet walks upright

to prop its dead.

MONTER DANS DES TRAINS

pour tous ceux qui sur­vivent à l’oppression

Atten­tion en mon­tant dans des trains à des arrêts non signalés,
au milieu de nulle part. Des stèles
com­mo­tion­nées, défient la gueule d’un Mauser
four­rée dans tes côtes pour te faire avancer.

Une pho­to­gra­phie obs­cure prise sur
pel­li­cule Agfa, par un offi­cier SS
à l’intérieur d’un ghet­to, quelque part en Europe –
aucun doute – en l’an 1944

Visages en noir et blanc, vieux
et pour­tant jeunes, signes enre­gis­treurs privés
de vie – pri­vés de joie, à l’exception
du sou­rire, se moquant des rails…

Les wagons à bes­tiaux roulent jusqu’à Auschwitz,
les pan­neaux rou­tiers tra­hissent l’arrêt sui­vant. Le monde
ne s’en sou­ciait pas alors, ou main­te­nant, une fois qu’on peut gagner
faci­le­ment du fric, en fai­sant com­merce de propagande.

Quelque part dans un avion pour l’Europe, j’ai croisé
une femme avec un numé­ro tatoué
sur le bras. Elle est une preuve. Il y a eu Dachau,
Buchen­wald, Bel­sen et Auschwitz,

par­tout où elle et d’autres se rassemblent
contre leur gré ; que ce soit dans un goulag
ou à Git­mo, invec­ti­vant les guerres qui ne s’arrêtent
jamais. Comme les cica­trices sur son corps, elles prospèrent

sur les tatouages ou les chiffres sur des stèles
effa­cés comme ma tête avec un joint,
la dou­leur de pen­ser trop vite – four­rage ou
mémoire, en mon­tant dans des trains à des arrêts non signalés.

BOARDING TRAINS

for all who sur­vive oppression

Beware boar­ding trains at unmar­ked stops,
in the middle of now­here. Headstones
shell-sho­cked, defy a mauser’s muzzle
poked at your ribs to prod you forward.

An obs­cure pho­to­graph taken on
Agfa film, by an SS officer
inside a ghet­to, somew­here in Europe –
no doubt – the year 1944

Scrol­led in black and white on faces, old
yet young, regis­te­ring signs bereft
of living – bereft of joy, except
for the smile, snee­ring at the tracks….

They ride the cat­tle trains to Auschwitz,
road signs betray the next stop. The world
did not care then, or now, once quick bucks
can be made, tra­ding propaganda.

Somew­here on a plane to Europe, I met
a woman with a num­ber tattooed
on her arm. She is proof. There was Dachau,
Buchen­wald, Bel­sen and Auschwitz,

whe­re­ver else she and others congregate
against their will; whe­ther in a gulag
or Git­mo, rai­ling at wars that never
end. Like the scars on her body, they thrive

on tat­toos, or num­bers on headstones
gone faint like my head on a spliff,
the pain of thin­king too fast – fod­der, or
memo­ry, boar­ding trains at unmar­ked stops.

Tra­duc­tion : Thier­ry Gillyboeuf

  1. Le texte ita­lique sui­vi d’un asté­rique est en fran­çais dans le texte

Auteur(s) / Artiste(s)

McDonald Dixon

est né en 1944 à Castries. Il est poète, romancier, nouvelliste, photographe, peintre, impliqué dans le monde du théâtre en tant que dramaturge, acteur et metteur en scène. Egalement banquier et conseiller en commerce auprès du Gouvernement de Sainte-Lucie. A 16 ans, à la bibliothèque de son lycée, il découvre Derek Walcott : dès lors, il sait qu’il deviendra écrivain. Il travaille à partir de l’histoire des mythes et légendes populaires de son île. Il est récompensé en 1993 par la Médaille Nationale du Mérite de Sainte-Lucie, pour sa longue contribution à la littérature et à la photographie.

Dernières publications
  • Poésie : Collected Poems, Xlibris Corporation, 2003
  • Romans et nouvelles : Saints of Little Paradise : Book One “Eden Defiled”, Xlibris Corporation, 2012 ; Misbegotten, Xlibris Corporation, 2009 ; Careme, Xlibris Corporation, 2009
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