Revue de poésie contemporaine

Silence (et autres poèmes)

S

Silence

Assise sur mon mur, je finis­sais d’égrener les minutes de cette jour­née par­ti­cu­lière, un caillou dans chaque poche. Il ne s’était rien pas­sé de spé­cial pour­tant. Juste une marche sur la côte à humer le vent, à suivre les vagues, dans la pré­sence du bleu. Le ciel d’avril res­pi­rait plus libre­ment, on pou­vait y croire. Le soleil pre­nait son temps, j’attendais son signal.
C’est alors que je le vis, seul sur son banc, au pied du block­haus, plon­gé dans l’étude de galets qu’il retour­nait entre ses doigts. Ou alors étaient-ce des coquillages ? Je res­tai com­prendre son manège jusqu’au moment où il se déci­da à par­tir, les mains dans les poches.
Les pierres ont des secrets qu’on ne par­tage pas.

Autre danse

« Je danse en robe d’ange », dit-elle. Un effran­gé de voiles qu’on ima­gine trans­pa­rents. Elle a choi­si une col­line. Ou plu­tôt n’a pas choi­si. C’était là, pas ailleurs.
Son corps se mou­vait dans une liber­té nou­velle, très légère, celle d’avant, d’un autre lieu, d’un autre amour. Les soies vire­vol­taient, silen­cieuses, autour du soleil, l’effaçant, le repre­nant dans leurs ara­besques. Elles l’enlaçaient à la roue des bras, à l’anneau des che­villes, le soir à mesure consu­mait sa gorge.
Nous nous sommes figu­ré l’image assez faci­le­ment. Unique à cet instant.
« Je n’ai eu aucun mal à mou­rir », a‑t-elle dit.

Seule

Me voi­ci, au bord de mon lac, le visage offert au soleil du matin, comme tous les autres jours. Jamais je ne rate ce rendez-vous.
Depuis com­bien de temps suis-je sans nou­velles du monde ? Le temps est une don­née vola­tile qu’il est vain de cir­cons­crire entre deux aiguilles. Seule la lumière fait tour­ner les ombres. Sur­tout, ne rien attendre, juste regar­der, res­pi­rer, s’accorder au pay­sage, à ses cou­leurs. Pour­suivre un vol d’oiseaux, une envo­lée de feuilles, un plon­geon à la sur­face. Lais­ser déri­ver ses pen­sées au bon vou­loir de l’eau, sur l’écran à ciel ouvert.
Telles sont les nou­velles du monde comme je l’entends, monde et nouvelles.

Certitude

D’où vien­dra-t-il ? De cette limite où naissent les pen­sées. Je ne peux dire où c’est. Je n’aurai pas à l’attendre, il sera là au ren­dez-vous non fixé, aus­si fidèle que le jour qui prend mes mains. Il me don­ne­ra ce que je ne cherche pas, que je n’ai jamais cher­ché. J’ai appris à accueillir ce qui ne s’attend pas. Je le ver­rai arri­ver au bout de l’allée, en découpe sur la lumière. Il y aura un léger dépla­ce­ment de l’air à son pas­sage, presque rien. Les anges font peu de bruit en marchant.

Sa main

Je posai à nou­veau ma main sur la sienne. Aimante ? Peut-être. Com­ment savoir ? Tout était si confus. Mais peut-être les mains savent-elles d’instinct ces choses-là. Je crois qu’à cet ins­tant elle n’avait pas eu besoin de moi, elle s’était juste posée.
J’avais sen­ti la sienne fré­mir comme un oiseau réchap­pé du froid. La cha­leur était reve­nue, len­te­ment, comme on reprend vie. Elle tres­saillait main­te­nant au rythme de la mienne. Ces quelques cen­ti­mètres de peau avaient suf­fi à dire ce que je n’avais osé, à com­prendre ce que je n’avais com­pris. Mes cinq doigts en savaient plus que moi.

Auteur(s) / Artiste(s)

Marilyse Leroux

Née à Vannes, Marilyse Leroux est poète, nouvelliste, auteur de chansons et de récits divers, animatrice d’ateliers d’écriture depuis 1976, membre de Donner à voir, maquettiste et corédactrice de la revue numérique Breizh Deiz.

Elle est publiée en recueils et en revues papier ou numériques. Ses deux derniers livres sont parus aux éditions Rhubarbe : Blanc Bleu (nouvelle) et Le temps d’ici (poèmes), Prix de Poésie des Écrivains Bretons 2014.

Pour en savoir plus, consulter le site ecrivainsbretons.org, onglets auteur et livres.

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