Fassbinder a raison : L’amour est plus froid que la mort.
L’amour passionnel passe par tous les états du feu, de la flamme aux cendres via les braises. Mais le sublime, il ne l’atteint qu’au cœur d’un hiver ignoré de l’automatisme imbécile des saisons. La lucidité qui confine au cynisme est l’air qu’il respire, de même que sa couche élective est la ciselure de la pierre voluptueuse aux gisants. Seul l’agrée l’œil ouvert, le relâchement des nerfs, dans les veines le sang lent, presque inaudible. « Lorsque je lis un livre et qu’il me procure une sensation de froid telle qu’aucun feu ne pourra jamais me réchauffer, je sais que c’est de la poésie » et de l’amour, eût pu ajouter Emily Dickinson. Le Simenon et le Mathieu Amalric de La Chambre bleue à sa suite.
Notes sur La Chambre bleue de Mathieu Amalric
La trame d’un roman de Simenon croise un fil de chaîne incarné par une personne tirée de ce qui passe l’anonymat : sortie du retrait obscur où elle évite d’instinct la vie promise et un fil de trame où ladite personne, à son corps défendant, endosse le costume du personnage, par définition ferment de passions contradictoires, exemptes d’apaisement comme de logique psychologique, qu’on appelle communément une histoire.
Le tissu de l’écriture doit à cette étrange armure son dédoublement ou, plutôt, son effet de subtil décollement qui fait merveille dans l’art de l’estampe : à l’avant-plan, le personnage que n’épargne et qui lui-même ne s’épargne aucune des péripéties du drame souffert — à l’arrière-plan, ombre portée apparente du premier, la personne, la tête de la personne qu’emporte un manège sanglant de questions, dont le caillot récurrent est : Pourquoi ? (Pourquoi suis-je là ? Pourquoi fais-je ceci ou cela ? Pourquoi ces chaussures vont et viennent, si étranges leur forme ? Pourquoi la fenêtre de lumière sur le mur ne s’ouvre-telle pas ? Pourquoi les yeux de cette femme me fixent-ils ? Pourquoi dans ma gorge un peu de l’humeur de son sexe écorché et luisant ?…) et qui n’aspire à rien tant qu’à l’embolie qui la ramènerait à la tranquillité de son état originel.
Dans La Chambre bleue, Mathieu Amalric, usant d’un découpage flottant, est à ce jour le seul à avoir réussi à transposer sur le plan de l’image animée la schizophrénie éberluée du tissage simenonien.
À Simenon
Il a la berlue, cet homme que manu militari une force inconnue, qu’on nomme communément l’Écriture, éjecte de l’ombre où il s’absente — auquel ladite force scripturale enfile le costume d’un autre — cette sorte d’autre qui suit le fil d’une histoire faute d’avoir l’assise de l’être, ce qui est aussi bien — et une histoire ça obéit aux régimes des passions, dont l’alpha et l’omega sont l’amour et la mort — l’homme éberlué obéit, n’ayant pas d’alternative : il lapera en chat la jatte rougeoyante du sexe d’une femme et pour elle abattra les murs et tuera sans merci — néanmoins, jusqu’au bout, il n’aura de cesse de se regarder faire, les yeux exorbités à deux doigts de tomber au creux de ses paumes, ahuri comme un chien qu’on bat, se demandant : Pourquoi ? obsédé par l’idée de regagner les coulisses d’où l’abus des phrases écrites l’a tiré, ses narines hument le fin remuement de la poussière qui avec le froid s’en partagent le silence quiet.