Revue de poésie contemporaine

Fade to grey (extraits)

F

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« 3 Novembre.
Nuit à peu près calme. L’heure du retour approche. Angoisses. Hier, la ville a fait sem­blant d’être triste. »

New- York. Oui. J’étais bien à New-York quand c’est arri­vé. Je menais une vie soli­taire et je crois que la rai­son à ce choix de vivre, non pas recluse, à l’écart de tout, mais seule avec soi-même et libre, sur­tout, libre d’avoir le monde entier pour me tenir com­pa­gnie et ça seule­ment quand j’en aurais envie, la rai­son à ce choix déli­bé­ré et têtu, c’est que j’avais lu quelque part, ou alors enten­du quelqu’un dire, que c’était l’ennui et la peur, l’ennui de vivre et la peur de mou­rir qui jetaient tout à coup les gens hors de leur chambre et les pré­ci­pi­taient les uns contre les autres, pour par­ler, s’interposer, plaindre le vide, meu­bler le silence, cou­vrir de bruits assour­dis­sants ces san­glots qu’on ne par­vient plus à étran­gler quand le jour baisse. Oui. J’étais bien à New-York. Voi­là. Peu à peu, les choses me reviennent. Je menais une vie soli­taire. Il me semble que j’étais heu­reuse de mener ce genre de vie-là, dans ce genre de ville-là. Il est clair que j’étais encore assez naïve. Le genre, bien sûr, ça n’existe pas. Je sup­pose qu’il ne reste plus aucune trace de la vie que je pou­vais mener à New-York à cette époque-là. Au fond quelle importance.

Reve­nir jusqu’ici, j’ai fait ça sans réflé­chir. J’étais assise au milieu d’un jar­din pelé comme une vieille chienne. Et à part ça du vent. De la tris­tesse. Et cette envie qui revient vous grat­ter la tête. Et puis je me revois sou­dain grim­per à l’arrière de ce camion. J’étais peut-être saoule. Grog­gy. Son­née. Mais ce camion me res­sem­blait et à nou­veau j’ai eu confiance. Ce camion était comme moi, gris de la pous­sière des routes. Et puis on a rou­lé. J’ai dor­mi. Et puis le ciel de New-York s’est mis à me peser sur le crane comme le cou­vercle gris-fer d’un jour sans soleil. A quel moment me suis-je réveillée au milieu de cette séquence urbaine ? Depuis quand suis-je à mar­cher dans cette ville où mes sou­ve­nirs ont sans doute com­men­cé à pour­rir ? Est-ce pour leur échap­per, eux et leur odeur de pour­ri, que je baisse la tête ? New-York. Voi­là. Ce ne sont pas les men­songes et les tri­che­ries qui partent dans toutes les direc­tions. Seule­ment des taxis et des voi­tures de police. Il n’y a aucun mira­dor. Aucune for­te­resse mena­çante. Justes des édi­fices ban­caires tenus au secret et des Palaces en plas­tique fon­dus au noir. J’ai rejoint le trot­toir de l’ombre. Le flou a fait place nette. Je remonte le cours des évènements.

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p.6; Image : Catherine Arbassette

« Dimanche.

Un dimanche où c’est sou­dain deve­nu plus facile de venir à bout des opinions. »

Déclic ? Révé­la­tion ? Quoi d’autre ? Je ne connais pas le nom exact que l’on donne à ça, mais j’aime. J’aime sur­tout l’effet immé­diat – la chose inédite — le sen­ti­ment nou­veau, tout ça qui se cache juste der­rière le nom, tout ça, ces trois trucs, cou­plet-contre­point-refrain, ces trois trucs qui tour à tour se reniflent, s’associent puis fina­le­ment se repoussent, ce déclic — cette révé­la­tion — cet on ne sait quoi, tapis dans son trou de bête, ou alors en arrêt — les muscles figés nets, comme un chien au pied de la lettre, et quelque fois, aus­si, embus­qué à l’abri de la der­nière syl­labe, tout ça atten­dant que le gros de la troupe à vue d’œil s’amenuise et tant pis les heures que ça pren­dra, tant pis le temps que ça va mettre. Tant pis. Tant pis. Le sens, depuis qu’avec le jour qui baisse des mains obs­cures poussent leurs drôles de pierres afin de for­ti­fier les der­niers bas­tions de la nuit, le sens, par-des­sus tout, ça sait attendre. C’est un ani­mal crain­tif, le sens. C’est cet ani­mal qui a cou­tume de sor­tir de l’ombre une fois dis­si­pées une par une les der­nières impatiences.

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p.12; Image : Catherine Arbassette

« Une autre par­tie du monde. Deux sortes d’hommes peuplent cette par­tie-là du monde.

Ceux qui se demandent encore pour­quoi. Ceux qui répondent tou­jours parce que. »

- On m’a dit de m’adresser à vous, Mon­sieur. Vous com­pre­nez. Que vous étiez même la seule per­sonne capable de me ren­sei­gner. Monsieur ?

- Qui vous l’a dit ? Ne voyez-vous pas que nous sommes seuls, ici. Oui. Tout seul. Et puis vous ren­sei­gner à pro­pos de quoi, d’abord ?

- Et bien à pro­pos de cette auto­route. Où conduit-t-elle, pour commencer ?

- Dans ce cas la fin est le com­men­ce­ment. Cette auto­route, c’est ter­mi­né. Elle est au bout de la ligne, vous com­pre­nez, cette auto­route. Elle ne mène à rien. Nous sommes au milieu d’un grand nulle part.

- Enfin, Monsieur…C’est assez dur à croire… sur­tout qu’elle n’a pas l’air habi­tuel des choses qui ne servent plus.

- C’est parce qu’on me paye pour la main­te­nir en état. C’est tout. L’entretenir juste ce qu’il faut, le temps qu’il faut. Pour les visites, enfin vous savez bien. Quand il y en a.

– Des visites ? Beaucoup ?

– Vous êtes le pre­mier visi­teur depuis six mois.

– Et depuis quand ça se visite, les autoroutes ?

– Pas les auto­routes. Cette autoroute.

– Et qu’est-ce qu’elle a de tel­le­ment remarquable ?

– Il y a bien des années de cela, c’était même il y a fort-fort long­temps, à l’époque où les gens se sont mis à construire des auto­routes pour faci­li­ter l’invasion de leurs voi­sins, il y avait deux églises – deux grands par­tis – deux cou­rants de pen­sées, deux blocs tel­le­ment oppo­sés qu’ils en sont venus à se faire une guerre sans mer­ci. Ah oui, der­nière chose. Cette auto­route ser­vait de fron­tière entre les deux blocs. Et sachez que deux immenses fosses com­munes, deux fosses com­munes de près de 400 km cha­cune, longent cette auto­route, mon autoroute.

Texte – Benoit Jeantet
Acry­lique + encre de chine + gla­cis sur papier, Cathe­rine Arbassette
Un dos­sier com­plet de ce tra­vail est visible sur le site de Cathe­rine Arbassette

Auteur(s) / Artiste(s)

Benoit Jeantet

« Je n’ai pas toujours été ce que je suis.
Au commencement, alors, je suis né.

Je suis né un 15 novembre et c’était en 1970.

Ensuite, alors, j’ai été un enfant. Un enfant tout d’abord élevé à l’ombre des contreforts pyrénéens. Et puis grandi sur le versant ouest de la butte Montmartre.
La butte Montmartre, bien sûr, c’est à Paris.

C’est aussi à Paris qu’un peu plus tard, juste après une crise d’adolescence « normale », un deug d’Histoire tout bête et une licence de lettres classiques, je suis devenu pigiste pour plusieurs magazines « culturels ».
Ces diverses expériences m’ont permis d’écrire sur les musiques populaires et électrifiées, le roman contemporain et même sur le sport.
Aujourd’hui je ne vis plus à Paris.

Aujourd’hui je me consacre presque exclusivement à l’écriture (Roman, nouvelles et scenarii) avec une préférence pour les fragments.

On peut me lire ou me retrouver ici.

Mes ouvrages
  • Short stories (nouvelles) ; Atlantica-Séguier, 2007.
  • Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire. (récit) ; Atlantica-Séguier, 2010.
  • Dictionnaire du désir de lire : Cent romans contemporains du monde entier (Avec Richard Escot) ; Honoré Champion, 2011.
Mes participations
  • Revue Brèves. n°79. Spécial Nouvelle-Zélande. (littérature-nouvelle), octobre 2006.
  • Rugby, une passion. Collectif sous la direction de Richard Escot ; Éditions la Martinière, 2010.
Sur le net
  • Hors-Sol (revue numérique) : Fragments (mai 2013)
  • Remue.net (revue numérique) : Je jure de dire la vérité (texte court), tévrier 2014.
  • Le jour dénudé (site) : Quatre textes courts, février 2014.

Et plusieurs publications (revues-projets éditoriaux) à venir.

Catherine Arbassette

J’aime fumer des cigarettes, ou j’arrive pas à arrêter, au choix. J’aime boire du champagne bien frais, du bon champagne, mais le champagne ne m’aime pas, bref je n’en bois plus…

Non diplômée d’une grande école d’art, j’ai construit mon projet de vie autour de la création artistique, en prenant les chemins qui étaient devant moi.

J’aime faire la sieste, j’aime danser un peu ivre sur de la musique new-wave.

J’aime le soleil, la canicule, j’aime pas l’hiver, j’aime pas avoir froid, j’aime pas la pluie. J’aime le bruit de la mer, l’odeur de la mer, j’aime mon chien,

j’aime Nan Goldin, j’aime pleurer dans ma tête devant une œuvre de Modigliani, j’aime un livre de Roland Barthes un autre de Boris Vian. J’aime lire voici dans un transat ou vautrée dans un canapé. Je n’aime pas les esprits aux nœuds trop serrés, les égos mal garés, les fous dangereux, les personnes dépourvues d’humour.

Lire ma peinture, c’est me connaître.

Je suis Catherine arbassette, je suis artiste plasticienne, je vis et je travaille à bordeaux.

www.arbassette.com

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